Les débuts du règne de Charles VII : 1418-1428 par Olivier Bouzy, docteur en Histoire médiévale

Cahier Centre Jeanne d'Arc

Les débuts du règne de Charles VII : 1418-1428

 
Par Olivier Bouzy, docteur en Histoire médiévale
 
Un des problèmes de l'histoire de Jeanne d'Arc, c'est la description simplificatrice et même parfois caricaturale des arrières-plans politiques du royaume de France au moment où elle arrivait à Chinon. Faut-il les rappeler ? Ils figurent dans pratiquement tous les livres d'histoire, sauf quand ils sont prestement escamotés. Ils sont en effet non seulement caricaturaux, mais aussi parfois gros de tellement de contradictions qu'on n’arrive parfois plus à expliquer l'action de tel ou tel protagoniste, une fois que le décor, plein d’a priori, a été posé. Dans ce tableau, qui date d'ailleurs du milieu du XVIIIe siècle, Charles VII est un roi faible, si couard et dépourvu d'épaisseur qu'il en est presque inexistant, entièrement dominé par ses favoris, La Trémoille et Regnault de Chartres, archevêque de Reims. Charles VII aurait pu s’appuyer sur un homme considéré comme brillant, le connétable de Richemont, mais on affirme alors que son secours a été refusé par le chambellan La Trémoille, qui aurait pourtant été placé là en tant que créature du même Richemont. C’est le premier paradoxe de cette histoire. D’ailleurs, ces ouvrages ne cernent pas véritablement Regnault de Chartres et Georges de La Trémoille, ni dans leurs origines, ni dans leurs fonctions, ni dans le moment où ils sont entrés en charge : ils sont la plupart du temps décrit comme des "favoris", terme qui pourrait d’ailleurs laisser le champ libre à des connotations sexuelles mais qui semble plutôt laisser entendre qu'ils ne sont pas là dans un cadre tout à fait légal et officiel, bien que Georges de La Trémoille ait porté le titre de Grand Chambellan et Regnault de Chartres celui de Chancelier. On nous raconte ensuite qu'ils détestaient Richemont comme ils détestèrent ensuite Jeanne d’Arc, ce qui semble avoir pour but de placer le connétable sur le même plan que la sainte. Pour expliquer pourquoi les deux favoris semblent s’acharner à ne surtout pas gagner la guerre, on affirme alors qu’ils sont bourguignons de cœur. C’est le second paradoxe de cette histoire populaire, puisqu’il paraît alors au lecteur attentif que le brillant Richemont a pu imposer au roi, pour son bien, un ennemi patenté, et de lui, et du roi, en la personne de La Trémoille. Pour preuve de la trahison du "gros Georges", on souligne alors que son propre frère était le chambellan du duc de Bourgogne. On ne dit toutefois rien de la famille de Regnault de Chartres, peut-être parce que le fait d’avoir eu un père assassiné par les Bourguignons pourrait introduire une faille dans le système, en laissant deviner que l’évêque de Reims était peut-être un ennemi déclaré de la Bourgogne. Que Charles VII ait, malgré tous ces handicaps, réussi à redresser une situation bien compromise est un grand mystère – ou plus prosaïquement le troisième paradoxe de l’histoire, pour ne pas parler, à ce stade, d'incohérence - d'autant que ses adversaires, John of Bedford et Philippe le Bon, sont décrits dans le même temps comme habiles, charismatiques et fort bien dotés en hommes et en argent, ce qui est sans doute également exagéré, surtout pour Bedford.
 
Bien d’autres accusations traînaient également contre Charles VII, mais les siècles, en passant et en approfondissant les études, l’ont blanchi du grief d'avoir perdu, par sa paresse, la bataille d'Azincourt (c'est son frère Louis de Guyenne qui était alors dauphin), d'avoir été, dans sa jeunesse, compagnon de débauche de La Trémoille (c'est en réalité son second frère Jean de Touraine qui était visé par ces critiques des auteurs du temps), et de celle d'avoir préféré sa belle Agnès Sorel aux affaires de l'Etat dans ces années critiques (elle ne devint sa maîtresse qu'en 1443). De son côté, Georges de La Trémoille a été également quelque peu réhabilité[1] : homme de peu de scrupules sans doute, ce n'est pourtant pas un traître, ou du moins, s'il est vendu, c'est à Charles VII et non au duc de Bourgogne qui ne semble pas lui vouloir grand bien. Certes, son frère est bien au service de Philippe le Bon, mais ce n'est pas le seul des serviteurs de Charles VII à avoir des accointances avec les Bourguignons, voire avec les Anglais. A commencer par l’immaculé Richemont, dont on peut déjà rappeler qu’il était non seulement le fils de la seconde femme du roi d'Angleterre Henri IV, mais également le beau-frère de Philippe le Bon et, par-là même, celui du duc de Bedford. Enfin, il était le frère du duc de Bretagne, dont l’attitude, rappelons-le, est difficilement assimilable à un soutien ferme et massif au roi de France. J'ose à peine ajouter que son nom, Richemont, tient à ce qu'il est, depuis 1409, comte de Richmond – du moins nominalement - et vassal du roi d'Angleterre. Entre son appartenance au clan breton et son adhésion plus tardive au service de Henri V, le jeune Richemont semble avoir intercalé entre 1412 et 1415 des sympathies pour le parti d'Orléans et surtout des liens personnels avec le dauphin Louis de Guyenne : c'est à ses côtés qu'il participera à la bataille d'Azincourt, et il en épousera plus tard la veuve. Prisonnier pendant cinq ans en Angleterre, il servit fidèlement Henri V de 1420 jusqu'à la mort de ce dernier en 1422. Des rapports peut-être plus conflictuels avec Bedford, ou son mariage en 1423 avec la veuve de son ancien compagnon Louis de Guyenne, sœur de Philippe le Bon, le firent ensuite pencher du côté bourguignon. Ces antécédents complexes ne le qualifiaient évidemment pas d'office pour la dignité de connétable, et il fallut la nécessité pour Charles VII de se concilier à tout prix le duc de Bretagne et de Bourgogne pour qu'il ait été choisi, visiblement plus pour les possibilités diplomatiques qu'il offrait que pour ses qualités militaires : il n'avait guère d'expérience des combats et ses premières années d'activités furent tout, sauf glorieuses.
 
Dans cette toile d'araignée complexe, la personnalité et le rôle des autres grands seigneurs du temps n'ont été étudiés qu'une seule fois[2].Comme Richemont, ils passent apparemment d’un côté à l’autre sans beaucoup de troubles de conscience et sans qu’on cherche trop à approfondir les raisons de leurs revirements : apparemment, celui qui emporte une victoire militaire, même modeste, s'assure de leur alliance, de leur amitié et de leur soutien indéfectible ; cela dure jusqu'à la prochaine défaite, qui est suivie de leur passage dans le camp opposé : là encore les serments sont gravés dans l'airain massif, mais ne durent que jusqu'au prochain revers de fortune. On va donc creuser un peu leurs motivations, pour y chercher des motivations moins girouettantes, quitte à remettre en cause d’autres certitudes apparemment bien établies, comme le soutien soi-disant indéfectible des Angevins, dont la duchesse douairière, Yolande d’Aragon, belle-mère du roi, est parfois présentée comme son ange gardien. Disons tout de suite qu’il paraît un peu curieux que durant l’année 1420, en pleine avance anglaise, et alors que Henri V met le siège devant Melun, le fils aîné de Yolande d’Aragon, au lieu de se précipiter au secours de la ville, se rende à Rome pour se faire attribuer le titre de roi de Naples, qui est d’ailleurs porté à ce moment là par Jacques de Bourbon, comte de la Marche[3]. Un peu plus tard dans cette même année, René d’Anjou, le cadet, épousa l’héritière du duché de Bar : il sera amené par cette nouvelle alliance à prêter serment de vassalité au roi d’Angleterre. Loin d’être un ferme rempart de la couronne de France, il paraît donc que la famille d’Anjou mène au contraire une politique personnelle qui conduit en pratique ses principaux membres à fuir devant l’ennemi, voire à pactiser avec lui. Le seul membre de cette famille à n'avoir pas suivi cette politique, en raison de son jeune âge, est Charles d'Anjou, plus tard comte du Maine[4]. Il eut par la suite par une brillante situation à la cour, mais finit lui-aussi par trahir son neveu Louis XI, notamment au moment de la bataille de Montlhéry, ce qui lui valut d'être exilé dans ses terres.
 
Il ressort également que l’histoire populaire présente une véritable lacune concernant le rôle du comte de Clermont. Ce n’est pas qu’il soit plus intelligent ou plus actif que les autres, bien au contraire ; les historiens récents n'ont souvent pas assez de mots durs pour fustiger sa versatilité et son amour du double-jeu. Personne ne semble avoir prêté grande attention à ce personnage, qui est pourtant le vaincu de la bataille des harengs, accessoirement un autre beau-frère du duc de Bourgogne et qui porte le titre, à partir de 1432, de duc de Bourbon[5]. Son importance ne tient pas tant à son appartenance à la famille royale ou à son importance militaire – c'est un capitaine relativement talentueux et un chef de bande des écorcheurs – mais à ce que l’Auvergne et le Bourbonnais se trouvent à l’épicentre de la politique de Charles VII dans les premières années de son règne Un indice de l’importance du rôle de l’Auvergne dans les années 1425-1429 se trouve dans le fait que les quatre "favoris" qui se succédèrent alors en sont originaires ou y ont des fiefs, qu’il s’agisse de Giac, de Chalençon, du Camus de Beaulieu, et même de La Trémoille. Au passage, on découvre d’ailleurs ainsi un personnage qui n’est jamais mentionné par les histoires populaires, Louis-Armand de Chalençon[6], seigneur de Beaumont, héritier de la famille des vicomtes de Polignac, qui fut lui aussi un chambellan imposé par Richemont et qui joua un rôle éphémère entre Giac et La Trémoille.
 
Enfin, il serait plus que nécessaire d'éclairer vraiment le déroulement chronologique des années qui précédèrent le siège d'Orléans. C'est peu de dire qu'elles sont négligées : le plus grand flou, et même bien des contradictions, règnent dans les textes du temps. Perceval de Cagny, chroniqueur du duc d’Alençon, ne raconte pratiquement rien sur cette période, le duc étant alors prisonnier des Anglais. Monstrelet, qui traite abondamment des conflits entre Humphrey de Gloucester et le duc de Bourgogne, et qui mentionne même les péripéties de la lutte du royaume de Chypre contre le Soudan d’Egypte (car un bâtard de Bourgogne participe à ces combats), ne dit rien sur les incidents se déroulant à la cour de France. Il ne mentionne d’ailleurs du coté français que les difficultés de Richemont à Saint-James-de-Beuvron et à Pontorson. Le héraut Berry, pour sa part, offre un décalage fort curieux d’une année pour la période de 1425 à 1432. De toute manière il est hostile au président Louvet[7], et saute toute l’année 1426 (sauf une allusion à la destruction de Pontorson, en février 1426, mais qu’il place en janvier 1427). La Chronique de la Pucelle est apparemment beaucoup plus précise, mais est très hostile à Giac : elle permet toutefois de voir se dessiner les contours du parti qui l’abattit : La Trémoille, son demi-frère Charles d’Albret[8], son beau-frère le comte de Foix[9], l’amiral Louis de Culant, et le connétable de Richemont assisté du capitaine Alain Giron[10]. Un parti au premier abord hétéroclite, réunissant des gascons, des bretons, et des seigneurs du nord de l’Auvergne.
 
Non seulement les renseignements fournis par les chroniques sont succincts, mais il y règne parfois des confusions gênantes : dans la Chronique de la Pucelle, la prise du Crotoy par les Anglais, qui date du 5 octobre 1423, est placée en 1428, après la prise de Laval (15 mars 1428) qui est elle-même placée après la reprise du Mans qui date pourtant du 25 mai 1428 : la chronologie est tout simplement inversée. La Chronique des nobles, qui semble beaucoup plus précise chronologiquement, est foncièrement hostile à Tanguy du Chastel, à Louvet et à l'évêque de Laon, Guillaume de Champeaux. Prétendre que la mauvaise réputation de tous ces personnages est injustifiée serait exagérer : hauts à la main, arrogants, brutaux, avides et parjures si nécessaire, ils ont pu provoquer bien des haines dont nous voyons le reflet dans les chroniques : il est vraisemblable que certains chroniqueurs ont assisté à des algarades publiques accompagnées de menaces de mort, telle celle que se permit Pierre Frotier à l'encontre d'un sergent royal[11], et qu'ils en ont été péniblement impressionnés. Il n'est toutefois pas besoin d'en rajouter et d'en faire des traîtres, des paresseux et des incapables : leur violence est dans celle de la moyenne des nobles de leur temps. Il serait également aventureux d'imaginer que ceux du clan d'en face sont tous angéliques, aimables et courtois. Il ne faut pas non plus perdre de vue que les chroniqueurs ne sont pas unanimes dans le dénigrement des chambellans : ils ont chacun leur bête noire, mais ce n'est pas la même. La présentation des débuts du règne de Charles VII comme une période où les conseillers furent tous mauvais ne fut possible que parce que les historiens du XIXe siècles étaient pessimistes ou mal disposés ; eussent-ils été plus optimistes, ils auraient pu ne prendre en compte que les caractéristiques positives des chambellans : un Tanguy du Chastel risquant sa vie pour sauver le dauphin Charles en 1418, en compagnie, d'ailleurs, de Pierre Frotier qui préféra se sacrifier ensuite plutôt que de déclencher une nouvelle guerre civile, un Jean Louvet paternel envers le régent et prêt à tout pour le servir, un Giac s'attaquant aux ennemis de son maître au risque de sa propre vie, un La Trémoille averti des enjeux politiques et souplement habile, rempart de la sécurité personnelle de son roi[12].
 
La confusion chronologique des sources rend parfois difficilement compréhensible pour nous certains évènements, comme l'enlèvement à répétition des conseillers de Charles VII ; il ne semble d’ailleurs pas que les contemporains les aient davantage compris. L'évêque de Clermont (déjà enlevé en 1418 par La Trémoille qui est alors pro-bourguignon) fut capturé par le comte de Clermont en mars 1427 et/ou en août 1427. La chose paraît incohérente au premier abord : le chancelier était réputé pour être favorable au parti auquel adhérait le comte et avait été l'objet d'une disgrâce royale en 1425 avant d'être réimposé par Richemont. Peut-être faut-il en conclure que c'était Clermont qui était incohérent. Certaines sources mentionnent d'ailleurs sa quasi mise en tutelle par sa mère sous prétexte de sa profonde stupidité. Mais peut-être ne s'agissait-il, là encore, que d'un prétexte : le futur duc de Bourbon n'était peut-être pas un grand diplomate mais nous ne sommes pas obligés de croire en tous points les diffamations que ces aristocrates lançaient les uns à propos des autres. D'autre part, Robert le Maçon - ex chancelier du dauphin alors que celui-ci n'était encore que comte de Ponthieu - aurait été, lui, capturé en août 1426 par des hommes du sénéchal d'Auvergne se recommandant de Giac[13], et emmené en Auvergne. Là aussi, la chose paraît illogique, Giac et Le Maçon appartenant tous deux à la même coterie. Et de fait, si le Maçon a bien été enlevé par le sénéchal d'Auvergne, Jean de Langeac, celui-ci n'obéissait ni au roi ni à Giac, mais à Clermont : la Gallia Regia[14], catalogue des officier royaux des baillages, nous apprend que le duché d'Auvergne avait été donné à Jean Ier de Bourbon dès 1425, et Langeac était dès lors passé sous la juridiction des Bourbon[15]. Jean Ier étant prisonnier en Angleterre, ses biens étaient administrés, on l'a vu, par son fils le comte de Clermont.
 
On est parfois confondus devant cette succession d'enlèvements attribués au comte de Clermont. Mais le terme d'enlèvement est parfois impropre et semble être un recours pratique pour des auteurs simplifiant exagérément la situation : ainsi, un examen un tout petit peu plus approfondi de la question permet de se rendre compte qu'on ne peut pas parler d'enlèvement de l'évêque de Clermont par La Trémoille ; alors que Martin Gouge tentait de fuir Paris occupée par les Bourguignons, il avait été capturé par La Trémoille, qui était à cette date partisan du duc de Bourgogne, et il avait fallu la menace d'une intervention militaire du régent Charles pour ravoir l'évêque à moindre prix.
 
L’évêque de Clermont n'est pas le seul qui ait été enlevé, et si les raisons en semblent parfois obscures au premier abord, il arrive que lorsqu'on se penche d'un peu plus près sur la chose elle paraisse encore plus curieuse. Jean de Malestroit[16] est ainsi réputé, par Perceval de Cagny, avoir été enlevé en 1418 par les gens du dauphin Charles, ce qui est une affirmation d’interprétation délicate puisque Gruel – tout comme le Religieux de Saint-Denis - affirment qu'à cette époque Malestroit avait des sympathies armagnacques ; peut-être Malestroit avait-il enlevé un an plus tôt par le dauphin Jean de Touraine, plutôt bourguignon ? Guillaume Gruel signale pour sa part que Malestroit fut enlevé en 1426 par Richemont. Mais, Malestroit fut encore enlevé en 1431 par le duc d'Alençon, qui cherchait à obtenir de son oncle le duc de Bretagne de l'argent pour reconquérir son duché : il paraît dès lors évident que l'enlèvement d'un évêque au service d'un prince semble fut considéré assez largement comme un moyen commode de faire pression sur ce prince. Les auteurs ont donc pu se perdre dans les nombreux enlèvements effectués à droite et à gauche ou, on l'a vu, les déplacer dans la chronologie incertaine de leurs chroniques. Par ailleurs, la succession des chambellans et des chanceliers étant peut-être un peu rapide pour des esprits non avertis, il faut aussi se poser la question de savoir si les chroniqueurs n'ont pas parfois confondu les titres de tous ses personnages, d'autant qu'ils ont l'habitude de désigner les acteurs de leur récit par le titre qu'ils portent au moment de sa rédaction.
 
L'enlèvement de Malestroit par Richemont - qui paraît bizarre puisque l'évêque était le chancelier de Bretagne, donc un officier du frère de Richemont - est justifié dans les textes par les détournements dont l'évêque se serait rendu coupable et qui auraient causé le désastre de Saint-James de Beuvron. A replacer les faits dans leur contexte, on se rend compte que les opérations étaient alors menées par les troupes royales après un traité où il était convenu que les frais de la guerre seraient payés par le roi. Normalement, le chancelier, qui préside à l'enregistrement des actes du prince, s'occupe plutôt de la Justice et n'est théoriquement pas responsable des affaires financières – sinon par confusion avec le chancelier de l'échiquier anglais – et n'avait donc pas à se soucier de financer cette opération, et d'autant moins que ce n'était pas l'argent breton qui était dépensé. Il est donc plus probable que l’évêque a servi de bouc émissaire à Richemont pour dissimuler son incompétence. La même accusation de détournement de fonds est d’ailleurs encore utilisée par le même Richemont pour justifier la mise à mort de Giac un an plus tard, alors que Giac, qui n'a que le titre de chambellan du dauphin, n'a théoriquement pas davantage de compétence en matière financière. Nous voyons que les accusations rapportées par les chroniqueurs ne sont pas à prendre pour argent comptant : elles peuvent n'être que la reproduction de ragots non-vérifiés, voire délibérément répandus pour déconsidérer un adversaire ou détourner l'attention du public d'une autre catastrophe.
 
Puisque l’imprécision, voir la confusion des sources, et par voie de conséquence l’insuffisance de nos connaissances sur les premières années du règne de Charles VII ont été soulignées, il est temps de définir les buts et la méthode de cette étude. Le but est de savoir, aussi précisément que possible, quelles étaient les forces en présence en avril 1429. Pour y parvenir, il faut tâcher de définir les lignes directrices de la politique des uns et des autres dans les années 1422-1429. De cette façon, on peut espérer comprendre les moteurs de la politique des feudataires, mais aussi les raisons des silences de leurs chroniqueurs. Il paraît évident que ceux-ci se focalisent sur les centres d’intérêts de leurs maîtres, mais il paraîtrait curieux que ces maîtres n’aient porté aucune attention aux détails des luttes internes de la cour de France. Faut-il en conclure qu’elles étaient plus ou moins feutrées et dissimulées ou que les chroniqueurs avaient une mauvaise appréciation des rapports de forces : Morosini, par exemple, annonce à plusieurs reprises un proche succès des armes françaises dans les années 1423-1424, alors qu'on aboutit à la défaite de Verneuil. Le duc de Bourgogne, également, aurait pu ressentir un certain malaise – peut-être a posteriori, au moment où les chroniques furent rédigées – au regard du rôle qu’il avait joué ces années là. Cette mauvaise conscience est ainsi perceptible face au rôle joué par son père à l'encontre de Louis d'Orléans : Philippe le Bon, par contrecoup, s'entremit – en vain – pour protéger le duché de Charles d'Orléans, participa au paiement de sa rançon, lui fit épouser une de ses nièces. En 1429, le duc de Bourgogne était peut-être perturbé par un débat entre sa haine personnelle pour Charles VII et par les pressions de ses proches – notamment sa sœur Marguerite - pour qu'il ramène la paix en France : or il apparut assez tôt que cette paix ne pouvait passer que par la réconciliation avec Charles VII, rapprochement auquel il ne put se résoudre qu'en 1435.
 
La clarification de l’orientation des politiques permettra également d’y voir plus clair dans le déroulement chronologique, établi bien sûr à partir des chroniques, mais également vérifié d’après les informations fournies par l’Histoire de Charles VII de Du Fresne de Beaucourt. Cette monumentale étude doit en effet être mise à contribution et retravaillée pour sortir quelque chose d’utile sur les années 1425-1429 : non seulement Du Fresne a visiblement peiné à dominer la documentation dont il disposait, mais il a présenté cette période en au moins trois chapitres distincts[17], parfois sans identifier correctement les personnages qu’il citait (il confond parfois Jean Louvet et Christophe d'Harcourt) et sans tirer de conclusion de leur présence à tel ou tel moment de l’histoire. La chronologie, une fois rétablie sur des bases plus solides, permet parfois de souligner des relations de cause à effet invisible suivant sa présentation de faits. Certaines de ces relations vont d'ailleurs à l'encontre des idées reçues, ce qui peut expliquer que Dufresne, qui consacre déjà des pages à lutter contre les préjugés de son temps à l'occasion d'Agnès Sorel, n'ait pas osé se lancer dans de plus grandes remises en question. Quant à la récente biographie de Georges Minois publiée sur Charles VII[18], il apparaît que le chapitre concernant cette période a été très rapidement écrit, en partant que l'a priori que Charles VII était pathologiquement paralysé par la crainte d'être un bâtard. Malgré les réitérations multiples de cette affirmation, Minois ne cite finalement qu'une seule référence d'un texte contemporain. Comme par hasard, c'est un auteur bourguignon, qu'il interprète visiblement de travers[19]. On a déjà vu que les accusations mensongères n'ont pas manqué d'un parti à l'autre, fidèlement rapportées par les chroniqueurs de chaque camp : peut-être était-il naïf et aventureux de les accepter telles quelles, sans inventaire.
 
 
Après la synthèse des documents accessibles, la conclusion est la suivante : les péripéties des années 1425-1429 ne sont pas le résultat de l'aboulie personnelle de Charles VII mais d'une tentative de coup d'état de Richemont, soutenu par les Bretons, les Auvergnats mais aussi les Angevins : c'est une véritable révolte féodale. Il ne s'agit d'ailleurs pas seulement, de la part des protagonistes, de la manifestation d'ambitions personnelles, mais d'une réaction politique aux empiètements de la monarchie Valois. Cette réaction s’exprimait d’autant plus aisément que le pouvoir du régent Charles manifestait des signes de faiblesse au même titre que les autres régences, périodes pendant lesquelles la haute noblesse française a toujours tenté de secouer le joug du pouvoir central. Est-il nécessaire de rappeler le souvenir de la Fronde pendant la minorité de Louis XIV ? Le pouvoir royal est ici d’autant plus fragilisé, face aux empiètements des ducs et des comtes, que la régence proprement dite de Charles VII (1418-1422) succède elle-même à une longue période de faiblesse du pouvoir central, pendant les crises de folie de Charles VI, et qu’en 1422, à un roi fou succède un fils déshérité par son propre père, coupable d’avoir fait assassiner son propre cousin, et comme tel en butte au devoir de vengeance du duc de Bourgogne. De plus, le nouveau roi est jeune, âgé de 19 ans, même si les décisions qu'il a eut à prendre l'ont peut-être mûri avant l'âge, certaines d'entre elles font preuve d'une certaine inexpérience, voire même d'un irrespect des usages de gouvernement qui lui sera longtemps reproché.
 
Même en dehors des périodes de régence, le pouvoir royal était d’ailleurs encore fragile face à ses aristocrates, et il le restera encore pendant quelques siècles : rappelons la longue lutte de Charles V contre Charles le Mauvais, la Praguerie contre Charles VII, la Ligue du Bien Public contre Louis XI, la guerre entre le même Louis XI et Charles le Téméraire, la Guerre Folle sous Charles VIII, et jusqu’à la révolte du duc de Montmorency, en plein règne de Louis XIII. Encore sous le règne de Louis XI, qu'on ne soupçonne pourtant pas de faiblesse, les Bretons et les Bourguignons sont militairement dangereux pour le pouvoir royal : la bataille de Montlhéry, en 1465, montre que les seules forces bourguignonnes sont en mesure de forcer l'armée royale à faire retraite. Et il ne s'agissait pas de quelques contingents féodaux inexpérimentés, mais des compagnies d'ordonnances elles-mêmes. Ce sont finalement Louis XIII et Richelieu qui limeront les dents des féodaux, ce qui n’empêchera d’ailleurs pas ces derniers de relever une dernière fois la tête après leur mort, ce qui donnera la Fronde. N'oublions pas non plus les quelques remuements aristocratiques sans réelle conséquence sous la Régence, pendant la minorité de Louis XV, illustrés par les conseils de la Synodie et la révolte du marquis de Pontcalec, dont on a peut-être un peu vite fait uniquement un champion de la seule cause bretonne. De ce point de vue, les premières années de Charles VII voient donc s'exprimer une hostilité normale de la haute noblesse, inquiète des empiètements continus de la justice et de la politique royale ; il ne faut pas d'entrée de jeu incriminer une faiblesse pathologique du roi ou une tare de ses conseillers.
 
Cela dit, la situation est compliquée par la guerre civile et l'occupation étrangère. Confronté à des circonstances assez voisines après la mort de Henri III en 1594, Henri IV mettra cinq ans à s'emparer de sa capitale et quatre années supplémentaires pour chasser les Espagnols de son royaume ; encore n'a-t-il pas connu de désastre comparable à celui de Verneuil. D'autre part, si Charles VII montra en quelques occasions un réel courage et de bonnes qualités de combattant, ce n'est certainement pas un excellent stratège, contrairement à Henri IV, et il dut recourir à des chefs d'armée qui n'avaient pas davantage de qualités militaires – sur ce plan là les chroniques, comme celles de Perceval de Cagny ou le journal du Bourgeois de Paris, sont pleines d'acrimonie concernant l'incapacité de Richemont – mais que les contingences politiques imposaient de conserver : sa reconquête du pouvoir fut donc trois fois plus longue que celle de son illustre successeur. Mais il est remarquable de constater à quel point des évènements similaires peuvent recevoir une appréciation différente : Henri IV, général efficace et assisté de fort bons officiers, comme le maréchal de Biron, a lui aussi levé le siège de Paris ; personne n'a songé à lui en faire le reproche et on a même souligné sa clémence envers la population qui mourrait de faim. On a également très judicieusement remarqué qu'il n'était peut-être pas de bonne politique qu'un roi prenne d'assaut sa propre capitale et la ravage. Mais que n'a-t-on écrit sur la faiblesse congénitale de Charles VII et sur sa trahison envers Jeanne d'Arc, alors même que c'était cette fois l'armée royale qui souffrait de la faim. D'autre part, la faiblesse de Charles VII nous paraît telle que lorsque nous le comparons à ses successeurs, voire à lui-même à la fin de son règne, mais il faut garder en tête que Charles VII n'est pas initialement un roi absolu : il ne le deviendra – relativement – qu'à la fin de l'année 1439, après la Praguerie. C'est alors qu'il supprime le droit des Etats généraux à accorder l'impôt, revendique le droit exclusif de lever des troupes et rappelle ses anciens conseillers : désormais, il ne cherchera plus à ménager les susceptibilités de ses grands vassaux. En mettant sur pied, en 1445, une armée permanente, il se mettra également relativement à l'abri de leurs menaces. Que l'instrument de cette puissance nouvelle soit ce même Richemont qui l'avait tant mis en danger devait être pour Charles VII un plaisir fin et délicat, et explique sans doute le sentiment ambigu que l'on sent chez lui envers le connétable au moment où ce dernier, devenu duc de Bretagne, vint lui prêter un serment plein de réticence : un mélange de tolérance amusée et peut-être de solide mépris.
 
Ces péripéties n’influent pas sur le fait que dans le long terme le royaume de France devait l'emporter : l’Angleterre, dix fois moins riche et moins puissante que le royaume de France, ne pouvait pas gagner militairement. D'ailleurs, dès juin 1429, le duc de Bedford commençait à connaître des difficultés à solder ses troupes, et les armées anglaises en Aquitaine ne seront plus du tout payées entre 1431 et 1439. Au même moment; les armées françaises sont sur le point d'être soldées toute l'année, et plus seulement pendant qu'elles combattent. Toutefois, la faiblesse politique du royaume de France a pu se prolonger du fait des querelles intestines, et la dynastie des Lancastre aurait pu remplacer, à titre personnel, la dynastie des Valois sur le trône de France. Il semble s’agir là, finalement, plus d’une affaire de famille que d’une affaire nationale, et la question de savoir si les Français auraient pu être Anglais ou les Anglais devenir Français ne se pose pas : après tout, les Navarrais ne sont pas devenus Français, alors même que plusieurs rois de France ont porté le titre – plus ou moins théorique selon les époques – de roi de France et de Navarre. En fait, la situation est très complexe, en raison principalement de l'émiettement et de l'imbrication des possessions des familles princières : un coup d'œil sur la carte des fiefs démontre que les actions des grands féodaux sont motivées par d'autres considérations que les potins du who's who.
 
 

Les racines des conflits


Nations

Commençons par le commencement : le roi Charles VI est fou, d’abord par intermittence, folie parfois furieuse et parfois aimable, mais il est de moins en moins conscient de la réalité, et plus du tout à partir de 1415 : il scandalisera ainsi ses proches en proposant de faire un tournoi pour distraire les ambassadeurs de Hongrie huit mois après la défaite d'Azincourt. La présidence du conseil royal, donc la réalité du pouvoir, est très tôt chaudement disputée entre les ducs de Bourgogne et d'Orléans, ce qui débouche sur une guerre civile, puis étrangère, avec l'intervention du roi d'Angleterre Henri V. La cour de France semble avoir eu d’abord du mal à prendre la mesure du conflit, d’autant qu’il va en s’amplifiant au fil d'étapes sanglantes : l'assassinat du duc d'Orléans en 1407, la défaite d'Azincourt en 1415, la prise de Paris par les Bourguignons en 1418, enfin le meurtre du duc de Bourgogne en 1419. C'est à partir de ces dates qu'il faut commencer à dresser le tableau de la France de Charles VII, avec ses clans, ses alliances, ses haines cuites et recuites, éteintes dans le sang et provoquant ainsi de nouvelles haines toutes aussi mortelles. On pourrait même remonter, pour ce qui est des troubles sanglants, à l’attentat de Pierre de Craon contre le connétable de Clisson en 1392, lui-même conséquence de l’affrontement des Montfort et des Blois-Penthièvre en 1365. Les Montfort avaient alors arraché aux Penthièvre le duché de Bretagne, et on reverra encore les deux familles régler leurs comptes en 1421 et même en 1465, sous Louis XI : c’est alors que le duc de Bretagne confisque définitivement le comté de Penthièvre qui appartenait alors à Nicole de Blois, qui avait épousé Jean II de Brosse, le fils du maréchal de Boussac. Il faut donc parfois aller chercher un siècle plus tôt pour trouver les causes d’une soudaine agression, qui n’est jamais totalement gratuite.
 
Mais le ressort de tous ces affrontements n'est-il qu'une série de querelles de familles ? Comme cette cause paraissait un peu triviale et que dans les épisodes de cet affrontement apparaissait des personnages sur lequel le sentiment national s'appuyait, on y a cherché des raisons plus nobles et notamment le nationalisme ; mais il faudrait prouver que l'affrontement franco-anglais, ou franco-bourguignon, a eu des raisons idéologiques, ce qui est peut-être plus dur à prouver dans le cas du second. Certes on distingue alors la différence entre un Français et un Anglais, mais on la distingue peut-être mal. Il est en fait bien tôt pour parler de nationalisme : le mot n’existe d’ailleurs pas à cette époque. La nation, la "nacion", est d’abord un synonyme de "naissance", puis de lieu de naissance : ainsi la Chronique de la Pucelle désigne-t-elle "Maistre Pierre Cauchon, extrême Anglois, combien qu’il fut de la nation emprès Rheims"[20] : personne ne s'est heureusement appuyé sur ce texte pour supposer l'existence d'un hypothétique séparatisme rémois. La fidélité anglaise de Cauchon choque donc bien ses contemporains comme une trahison, mais on souligne que c'est parce qu'il est né près de Reims, ce qui semblait le destiner à servir le roi de France. C'est d'ailleurs ce qu'il fait : respectueux du traité de Troyes, qu'il a contribué à rédiger, il sert Henri VI, roi de France et d'Angleterre. Et il le sert d'autant plus volontiers que le pape Martin V, en autorisant la levée d'une double décime sur le clergé normand pour financer le siège du Mont-Saint-Michel et d'Orléans, semble bien favoriser Henri VI[21]. Ce n'est que plus tard que le mot nation désignera un groupe d’appartenance[22]. Ce qu'on exprime par ce mot au début du XVe siècle est avant tout une affaire de famille, de "sang", que la morale chrétienne cherche d’ailleurs à minorer : en 1454 encore, Martin Lefranc, dans le Champion des Dames, rappelle que la "nacion" n’est rien devant la Chrétienté :
 
Ung seul Adam fut qui sema
L’humaine generation […]
Dont se rien vaut li nation ;
Freres sommes-nous tous ensemble[23]
 
Mais tout n’est pas non plus rose dans les affaires de famille : les Anglais sont peut-être les frères humains des Français, mais ces derniers les trouvent parfois insupportables, et eux-mêmes ne nourrissent pas pour leurs voisins une admiration débordante. Les coutumes locales sont déjà trop différentes pour éviter les heurts, et ne le sont pas encore assez pour que les uns et les autres se considèrent vraiment comme des étrangers qu’on pourrait regarder avec curiosité plus qu’avec agacement : Pierre de Fénin rapporte ainsi une algarade entre Henri V et le sire de L’Isle-Adam , maréchal de France, qui le regardait dans les yeux en lui parlant "à la guise de France" : il se fit rabrouer par le roi qui lui répondit : "ce n’est pas notre guise"[24]. Les Anglais seraient-ils déjà si étrangers ? ce serait s'abuser de le conclure : selon toute évidence, l'échange de propos se fit en français, mais l'Isle-Adam fut emprisonné.
 
D’ailleurs, qu'est-ce qu'un Français ou un Anglais ? Dans les négociations multiples qui tentèrent de régler la guerre autrement que par les armes, les négociateurs français se ridiculisèrent en prétendant que le royaume de France ne pouvait appartenir à un souverain qui n'en parlait pas la langue. Les Anglais ne daignèrent même pas répondre : outre que le roi d'Angleterre parlait le français, le roi de France était loin de parler les cinq ou six langues, sans compter les patois, qui avaient cours dans son royaume : à ce compte, il n'aurait pas pu non plus être roi ! Un Anglais, c'était avant tout quelqu'un qui se reconnaissait comme sujet du roi d'Angleterre, et à ce compte, les Ecossais ne l'étaient pas, mais les Aquitains auraient eu quelques titres à l'être, eux qui étaient depuis longtemps les sujets d'un duc d'Aquitaine, qui était par ailleurs roi en Angleterre. Et en effet, lorsque Aquitains et Normands venaient accomplir leur service féodal auprès de leur duc, le roi d'Angleterre, et qu’il advenait qu’ils maltraitent au passage les populations civiles, les paysans se plaignaient des ravages "des Anglais". De la même façon, bien des "Anglais", durant le siège d’Orléans, avaient un nom et un titre tout à fait français[25]. Mais, quand on les capturait, ceux là devenaient d’un coup de "faux Français", et on les tuait sans les mettre à rançon. Quant aux Français, se sont les habitants du royaume de France, et il est bon de rappeler que ce royaume est bordé à l'est par l'Escaut, la Meuse, la Saône et le Rhône : Jeanne d'Arc est née à une quarantaine de mètres de la frontière avec l'Empire, et pour les questions religieuses elle dépendait de l'évêché de Toul, qui n'est alors pas en France.
 
Le sentiment d’appartenance à un groupe géographique existe bien, mais il reste fortement influencé par une mentalité familiale : sang, "nacion", "maison", le vocabulaire est fortement affectif et il n’y manque même pas les liens des "maisons" au sens large, qui intègrent les "familiers" et les "fidèles". Lorsque le duc de Bourgogne, Philippe le Bon, ressent un certain malaise à lutter au côté des Anglais, il déclare que "le sang de France lui bout", ce qui ne l’empêche pas de continuer à lutter contre Charles VII pour assouvir la vengeance familiale à laquelle il est d'ailleurs tenu. N'exagérons d'ailleurs pas ce malaise du duc de Bourgogne à lutter contre sa "nacion" ; les Anglais et les Bourguignons ont combattu côte à côte jusqu'à Bulgnéville inclus, en 1431, et ils l'ont fait avec une grande efficacité. On ne note aucune hostilité ni la moindre plaisanterie ou provocation "nationale" entre les contingents bourguignons et Anglais, en tout cas rien qui aurait pu être rapporté par les chroniques ou paralyser un tant soit peu les opérations militaires conjointes que ces deux partis ont pu mener. La qualité de ces relations pendant toute cette période explique d'ailleurs l'ampleur de l'indignation ressentie en Angleterre au moment du traité d'Arras : le duc de Bourgogne avait trahi ses frères d'armes. A contrario, les opérations conjointes entre Français et Bretons, comme à Saint-James-de-Beuvron, paraissent autrement plus délicates à mettre en œuvre et davantage susceptibles de déboucher sur un échec, en raison de leur méfiance mutuelle. En effet, si des Bretons ont pu combattre du côté français, les rois de France ont généralement soutenu la dynastie des Penthièvre, alors que ce sont les Montfort qui dirigent le duché.
 
La source de l’affrontement pourrait donc être davantage considérée, une fois de plus, comme une affaire de famille plutôt que basée sur un sentiment d’unité nationale, d’ailleurs bien difficile à définir dans un royaume de France si disparate que le Bourgeois de Paris, par exemple, distingue sans peine ce qui est le pire entre un Anglais et un Armagnac : c’est indiscutablement l’Armagnac, tortionnaire, violeur, pillard : il vient de bien plus loin, et on ne comprend pas son parler, le gascon, alors que l'anglo-normand des nobles anglais est parfaitement compréhensible. Lorsque la foule mettra la main sur le connétable Bernard d’Armagnac, en juin 1418, elle en tirera une vengeance atroce. Il faut dire qu’elle a contre lui un grief supplémentaire : il est "anglais plus que de chiens". On nage là en pleine confusion, et il serait d’autant plus fâcheux de prendre les choses au pied de la lettre que les Parisiens, eux, sont pro-bourguignons, et qu'ils ne vont pas tarder à accepter une garnison anglaise pour les défendre contre les Armagnacs. L’appartenance au parti, au groupe social, prime évidemment sur le sentiment nationaliste tel que nous le comprenons, d'autant que les différences de langue rendent les choses plus compliquées : il serait illusoire, en parlant de conflit franco-anglais, d'avoir en tête les limites géographiques actuelles.
 
 

Géopolitique

Toutefois, les "affaires de familles" des grandes maisons du XVe siècle ne sont pas uniquement affectives, et on peut même y trouver ce qu’on appellerait de nos jours des considérations géostratégiques ; mais le vocabulaire qui s’y rapporte reste le même que celui qui concerne les affaires familiales, et d’ailleurs les politiques du temps ne semblent pas capables de concevoir un traité sans y ajouter un mariage entre les familles concernées. S’il n’est pas forcément très facile pour nous de retrouver la nécessité politique sous l’apparente politique familiale, c’est que l’aristocratie française possède des domaines qui sont loin d’être d’un seul tenant, qu’elle est à peu près incapable de soutenir une lutte armée sur plusieurs fronts, et qu’elle doit si possible réduire les zones d’affrontement en neutralisant les frontières communes avec un adversaire. Les Bretons, par exemple, ont une frontière commune importante avec les Angevins et la famille d’Alençon. On n’est donc pas surpris de découvrir que le duc d’Alençon est le propre neveu du duc de Bretagne et qu’en 1425 Louis III d’Anjou épouse Isabelle de Bretagne. De manière moins visible, les Bretons avaient aussi une frontière commune avec les Bourguignons, entre le comté de Montfort-l’Amaury, d’où était originaire la famille des ducs, et le comté d’Etampes, qui après bien des vicissitudes était revenu entre les mains d’un cadet de la famille de Bourgogne, Jean de Nevers, tout en étant revendiqué pour le plus jeune frère du duc de Bretagne. Ce n’est sans doute pas la seule raison qui explique le mariage du duc de Bretagne avec une des sœurs du duc de Bourgogne, mais elle peut y avoir contribué. A contrario, on ne note pas de traité ou de mariage entre les Bretons et les Armagnacs : ils n’avaient pas de frontière commune.
 
Non seulement les domaines sont morcelés, mais les protagonistes ont des statuts qui impliquent des intérêts différents : face au roi, on distinguera les princes de la famille royale, qui sont eux-même tentés par un destin royal, comme le comte de la Marche, Louis III d’Anjou et Philippe le Bon, ou qui sont davantage impatients de la tutelle royale. Au même niveau de puissance qu’eux, les grands princes territoriaux - extérieur ou non au royaume - paraissent très inquiets de l’expansionnisme du royaume de France, qu’il s’agisse du duc de Bretagne, de Savoie, de Lorraine et de l’empereur. A un niveau subalterne, les familles des vassaux du roi qui n’appartiennent pas à la famille des Valois, comme les Armagnac, les Alençon, les Orange[26], cherchent à retarder leur inévitable absorption dans le domaine royal, ou à la faire payer très cher. Ils ont d'ailleurs raison d'être inquiets : un siècle plus tard, leurs principautés auront toutes disparues ; deux siècles plus tard, les principautés des princes de fleurs de lys et des princes territoriaux seront également absorbées par le domaine royal.
 
Dans ces conditions, le mariage entre deux familles aristocratiques ne doit plus seulement être considéré comme le résultat d’une opportunité, mais comme la manifestation tangible d’une politique de stabilisation des frontières, voire, à l’inverse, d’une volonté d’expansion, ce qui paraît être la raison, par exemple, du mariage de Jacqueline de Bavière, comtesse de Hainaut[27], avec le second dauphin - Jean de Touraine - ou de manière encore plus visible, du mariage de Louis d’Orléans avec Valentine Visconti ou encore de celui de Philippe le Bon avec sa tante la comtesse de Nevers. A l’inverse, une frontière commune et pas d’alliance doit dénoter une certaine hostilité : le cas des relations entre la Savoie et la France est ici éclairant, le duc s’étant peut-être senti menacé au sud par la prise de possession du Dauphiné par la famille royale en 1349, au nord par le mariage en 1369 de Philippe le Hardi, frère de Charles V et duc apanagé de Bourgogne avec Marguerite de Marle, héritière de la Flandre, de la comté de Bourgogne, de l’Artois et de quelques autres terres de grande importance. A l’est, le mariage de Charles VI avec Isabeau de Bavière puis de Louis d’Orléans avec Valentine Visconti allait, une génération plus tard, boucler l’encerclement de la Savoie, prise entre la France et ses alliés. La résistance de la Savoie fut forte : on aurait tort de considérer qu'il s'agit d'une province naturellement française ; c'est même une des dernières province à avoir été intégrée au territoire national, avec Nice (qui d'ailleurs en dépendait), et cela en 1861 seulement, après une première tentative d'annexion qui n'est pas antérieure à 1797.
 
De toute manière, l'alliance entre la France d'une part et la Bavière et le Milanais d'autre part ne pouvait qu'être considérée qu'avec inquiétude par les pays ainsi pris en sandwich : non seulement la Savoie, mais également les cantons suisses, la Lorraine et les multiples principautés qui se partageaient le Wurtemberg. Charles V et Charles VI – du moins, pour celui-ci, avant qu'il ne devienne fou – avaient augmenté le domaine royal à une allure jamais vue jusqu'alors, au point que le royaume avait eu du mal à digérer ses conquêtes, Dauphiné, Bourgogne - sans parler des terres reprises au roi d'Angleterre, comme l'Anjou – et qu'il avait fallu adopter des mesures intermédiaires : une partie des terres ainsi acquises avait été partagée entre les frères de Charles V, mesure qui allait à la longue se révéler extrêmement dangereuse. En fait, non seulement Charles VII ne pouvait guère compter sur ses cousins, si ce n'est pour lui disputer le pouvoir, mais il n'avait aucune aide à attendre de la part des princes situés à la périphérie du royaume.
 
Face à l'expansionnisme français, la Savoie avait cherché des alliés : paradoxalement, du moins en apparence, le duc de Savoie est en 1417 l’oncle de Philippe le Bon. Il faut en conclure que Jean sans Peur avait adopté les pratiques lignagères des opposants à la famille royale, tandis que ses adversaires Louis d’Orléans, puis Louis II d’Anjou[28], beau-père du dauphin Charles, et enfin Bernard d'Armagnac, lui-même beau-père du duc Charles d'Orléans, poursuivaient une politique d'agrandissement du royaume de France dans trois directions : au nord, vers le Brabant, politique remise en cause par la mort de Jean de Touraine ; à l’est vers la Lorraine, Louis d’Orléans ayant un moment possédé Neufchâteau, et la pointe extrême de cette progression étant représentée par la châtellenie de Vaucouleurs ; enfin au sud, vers la Lombardie, en passant par le Dauphiné et le marquisat de Saluces (qui se trouve à l'extrémité orientale du Dauphiné et qui jouera un rôle très important dans les affrontements franco-hispano-italiens au temps de Louis XIII). Cette politique, à vrai dire, n’était pas totalement innovante, surtout dans les Pays-Bas, et celle qui s’opérait vers le sud-est, bien que bénéficiant d’abord aux Orléans, avait été amorcée lorsque Charles V était devenu le premier Dauphin de Viennois. L’alliance entre la famille royale et celles d’Orléans puis d’Anjou devait être verrouillée par les mariages de Charles d’Orléans avec Isabelle de France et de Charles de Ponthieu avec Marie d’Anjou.
 
La mort successive de presque tous ces personnages allait interrompre l’expansion française vers le nord et faire de Charles de Ponthieu le roi Charles VII. La politique d’expansion vers l’est et le sud-est ne changea pas, malgré des mariages à répétition des maisons de France et d’Orléans avec celles de Lorraine (ainsi pour Henri III et Gaston d’Orléans, frère de Louis XIII) et de Savoie (Louis XI épousa Charlotte de Savoie et sa sœur Yolande épousa Amédée IX). Toutefois, parler de princes complètement étrangers à l'endroit des Lorrains et des Savoyards serait prendre les choses trop au pied de la lettre : à la mort de Louise de Savoie, mère de François Ier, en 1531, la France récupéra… le duché d'Auvergne, qui avait été aliéné en faveur du duc de Bourbon en 1425, et qu'un siècle de politiques matrimoniales tortueuses avaient mise dans la corbeille matrimoniale de Louise de Savoie[29]. On peut donc constater que la politique lorraine, savoyarde et italienne initiée par les Orléans – voire par leurs prédécesseurs - fut continuée par leurs successeurs et aboutit, mais seulement deux à trois siècles plus tard, à la conquête de la Lorraine puis de la Savoie. Disons pour simplifier que les premiers Valois tentaient de s’agrandir vers le nord, que cette politique fut confisquée par les Bourguignons, et que la France s’étendit dès lors en direction de l’est et du sud-est. La politique étrangère de Charles VII n'a donc rien d'original : elle est initiée par Charles V et continuée jusqu'à Louis XV (et ses successeurs : Charles de Gaulle aurait tenté d'annexer quelques vallées des Alpes italiennes en 1945), et les guerres d'Italie, au siècle suivant, ne sont pas une "aventure", mais la continuation d'une politique commencée au XIVe siècle. Par ailleurs, il paraît manifeste que Louis d'Orléans a poursuivi cette politique, même si c'était peut-être pour la confisquer à son profit, et que c'est vraisemblablement de là que provient l'hostilité des chroniqueurs à son endroit : elle n'est que le reflet des inquiétudes des princes de la périphérie du royaume de France face à une attitude expansionniste très active, poursuivie par un prince très "moderne" : il n'est que de lire la description de Louis d'Orléans par Christine de Pisan pour se rendre compte du danger politique que représentait, pour ses voisins, un prince lettré, réfléchi, et visiblement très au fait de la situation politique[30].
 
Même s’il serait aventureux de soutenir que les contemporains de Louis d’Orléans eurent conscience des conséquences lointaines de sa politique, il est manifeste qu’ils en sentirent la menace : Bourgogne, Lorraine et Savoie allaient se retrouver parmi ses ennemis, puis s’opposer à l’héritier de son parti et de sa politique, Charles VII. Seulement, ce dernier, qui n’était pas destiné à régner et ne disposait pas, comme son père ou son arrière-grand-père, d’une alliance étrangère, ne put s’appuyer que sur les Angevins. Or cet appui, après la mort de Louis II, lui fit défaut, car la maison d'Anjou, à la suite de celle de Bourgogne, était monopolisée désormais par une politique indépendante, en Italie et en Lorraine, où elle allait d'ailleurs se heurter aux intérêts des maisons d'Orléans – à Neufchâteau et à Asti – et de Bourbon – à Naples. Le conflit entre les Angevins et les Orléans remontait à un certain temps : Louis d'Orléans s'était fait attribuer la Touraine en 1384, à la mort de Louis II d'Anjou qui la possédait auparavant en viager. Charles VII, époux d'une angevine mais héritier de la Touraine et du parti d'Orléans, allait se trouver obligé plus d'une fois de faire le grand écart entre les intérêts de ses partisans et ceux de sa belle-famille. La folie de Charles VI avait en effet laissé le champ libre aux intérêts des grands feudataires, et plus encore aux cousins du roi. Par rapport à eux, les Bourbons, peut-être plus puissants que les Orléans, sont pourtant visiblement moins ambitieux : les Bourbons ne sont pas encore les héritiers de la couronne ; ils ne sont que les lointains cousins des rois, et ce sont les petits-fils du roi Jean II le Bon qui tiennent le haut du pavé.
 
Charles VII, à son avènement, n’est donc pas seulement confronté à une guerre civile et à une guerre étrangère, il se trouve également en butte à l’hostilité difficilement déguisée des principautés étrangères et des derniers feudataires non Valois. Ces vassaux, qui avaient courbé la tête, mais à peine[31], sous un pouvoir fort, avait vu dans la folie de Charles VI l’occasion de sauvegarder leur autonomie. Remettre de l’ordre dans cet état craquant de toute part, car trop rapidement étendu, aurait nécessité un roi indiscuté ; or Charles VII ne sera roi qu’en 1422, et ne sera sacré qu’en 1429. D'autre part le duc de Bourgogne s'emploiera avec efficacité à semer le trouble et la confusion : ses propagandistes avaient déjà réussi à compliquer la tâche de Louis d'Orléans – et à justifier son assassinat – ils allaient s'employer avec la même efficacité à savonner la pente sous les pas de Charles VII, et ce d'autant que le meurtre de Montereau offrait des possibilités infinies. Dans ces conditions, une accusation de bâtardise à l'encontre du roi ne pouvait avoir que des avantages : elle compliquait même la tâches des Anglais, que le duc de Bourgogne ne portait pas dans son cœur après 1425 – date de l'équipée de Gloucester en Hainaut - et qu'il avait peut-être des raison de détester dès 1422, au moment de la confiscation de la régence de France par Bedford. Cela ne veut pas dire que nous devons, comme Georges Minois, prendre nous-même cette accusation pour argent comptant.
 
Alors, les princes Valois situés sur les confins du royaume, qui souhaitaient pacifier leurs frontières parce que le pouvoir central fort qui pouvait les assurer sur leurs arrières avait disparu, commencèrent à fléchir. Cela paraît manifeste dans le cas des Bourbon, qui occupaient une position centrale entre les domaines royaux du centre (Berry et Poitou) et du sud (le Languedoc), mais étaient aussi bordés au nord-est par la Bourgogne et au sud-ouest par la Savoie. Or Savoie et Bourgogne étaient liées par des accords, et il n'est pas surprenant, dans ces conditions, que le comte de Clermont, qui gérait le duché de Bourbonnais en l'absence de son père, ait recherché une alliance avec Philippe le Bon, sanctionnée comme de juste par un mariage.
 
On voit donc comment se décident les alliances : elles ont pour but de s'agrandir ou de garantir une frontière, voire de pérenniser une alliance antérieure. L'expansion ne doit toutefois pas trop perturber l'équilibre général, ce qui risquerait de déboucher, de proche en proche, sur une conflagration générale. Finalement, ces alliances ont pour but de garantir au maximum la paix aux frontières. Bien sûr, les sentiments des époux, mais également de leurs proches, ne comptent pas : ainsi en fut-il du mariage entre le comte de Clermont et Agnès de Bourgogne ; au lieu des résultats attendus, paix à la frontière et affaiblissement de Charles VII, le "retournement" de Clermont par le roi renforça ce dernier. Philippe le Bon ne fut plus dès lors que froideur publique envers son inutile beau-frère. On ne sait rien – cela n'intéresse pas les chroniqueurs[32] – des rapports qui purent exister entre le comte de Clermont et sa femme, non plus qu'entre le duc de Bourgogne et la sienne, sœur de l'assassin de son père : nul doute que Corneille aurait pu trouver là matière à des drames fort complexes. Le mariage, qui devait garantir "bonne amour et intelligence" entre les deux parties – ou les deux partis – est toujours nécessaire, mais il n'est plus suffisant : les contingences géopolitiques priment désormais ; il est encore trop tôt pour parler de nationalisme, mais les alliances entre princes ne sont plus seulement des affaires de famille.
 
D'autres considérations géopolitiques influent également sur le déroulement des opérations : ainsi les Anglais ne conquièrent pas la France, tâche pour laquelle ils n'auraient jamais été assez nombreux, mais ils s'emparent des lieux où le pouvoir royal s'exerce, tentant ensuite de faire rentrer les nobles des environs dans un clientélisme "normal". Il s'agit juste de changer de roi de France. On remarque ainsi qu'une bonne partie des sièges et des combats de ces années se situent à proximité immédiate de sièges de bailliages et de sénéchaussées qui en sont l'enjeu[33] : les sièges de Lagny, Melun, la bataille du Vieil-Baugé sont évidemment de ce type. Les nobles du voisinage ne sont pratiquement pas touchés, c'est pourquoi on voit se développer parfois, dans des territoires "conquis", de véritables nids de résistance : il en est ainsi en 1435 lorsque les Cauchois se levèrent d'un coup, menés par un écuyer du cru, et chassèrent les Anglais de la région. En cas de reconquête, les terres de ces révoltés sont alors confisquées et distribuées à des Anglais, ou ravagées : les fuyards alimentent alors les rangs de l'armée française.
 

Honneur

N'oublions pas non plus que le moteur premier des familles aristocratiques est l'honneur, bien avant un très hypothétique nationalisme. L'honneur était en tout cas un moteur bien plus tangible, la population française toute entière vivant dans un souci jaloux de sa réputation : dans un pays dépourvu de police et sous-équipé juridiquement, la justice seigneuriale – dépourvue de tout moyen d'enquête - et plus encore l'opinion publique, étaient les seuls régulateurs des crimes et des tensions sociales. A ce compte, la mauvaise réputation n'est pas seulement une source d'inspiration folklorique pour une chanson de Brassens, c'est surtout le risque d'encourir la mort sociale, voir la mort tout court : celui qui est diffamé, mis à l'index, ostracisé, se voit accusé de tous les maux de la terre, bouc émissaire tout désigné en période de tension, gibier de potence ou promis aux bûchers de l'Inquisition. Juifs, lépreux, vaudois, cagots, marginaux divers sont les premiers visés ; Jeanne d'Arc, "véhémentement diffamée d'hérésie", en saura aussi ce qu'il en coûte. Chacun a donc à cœur de veiller très soigneusement à son honneur et surtout à ce qu'on ne le mette pas en doute : morale des femmes, virilité des hommes sont les objets de l'attention de tout le village. Le poids de cette surveillance est lourd : les déviances secondaires, comme les remariages, sont réprimés par le charivari, manifestation violente des bandes des jeunes célibataires, qui humilient, rossent et parfois tuent. On promène le mari cocu monté à l'envers sur un âne et on traîne nus dans les rues les amants qui ont été saisis en plein adultère. A ce compte, les déviances plus sérieuses sont réprimées de manière infiniment plus féroce.
 
La morale des filles est très surveillée : si elles ont "fêté Pâques avant les rameaux", elles risquent fort de se faire chasser du village et devoir se réfugier en ville, où elles finiront servantes ou prostituées : les hommes de leur parentèle en ressortent humiliés et leurs sœurs seront à peine mariables. On comprend que le père de Jeanne, rêvant que sa fille se mêlait aux soudards, se soit réveillé en jurant de la noyer. Les insinuations, gestes obscènes et injures directes se paient cher, car ne pas relever l'insulte serait reconnaître la véracité de l'accusation. Ainsi, arracher la coiffe d'une femme, c'est la désigner comme une prostituée, qui ne porte pas la coiffe des femmes honnêtes : on peut imaginer l'horreur du père de Jeanne retrouvant sa fille à Reims décoiffée et les cheveux coupés courts. Faire le geste de la figue ou mordre son pouce devant un homme, c'est l'accuser de n'être pas viril. Celui qui s'y risque ne doit pas s'étonner s'il prend en retour un coup de bâton ou un coup de couteau : tous les hommes sont armés, y compris les paysans, et ils ont le geste vif[34]. Nous ne saisissons d'ailleurs pas toujours les allusions grivoises que rapportent les textes : lorsque le 22 février 1429, le comte de Suffolk envoya un plat de figue au Bâtard d'Orléans, s'agissait-t-il d'un cadeau ou le traitait-il de "couille molle" ? L'épisode suit d'une dizaine de jours à peine la bataille des harengs, ou le Bâtard, blessé, avait dû fuir.
 
Le meurtre, quant à lui, enclenche le vieux cycle de la faide, qu'on peut également appeler vendetta si l'on veut, mais que l'on aurait bien tort de croire absent de la France du nord. La justice n'a d'ailleurs pas tant pour but de punir le crime que de restaurer la paix : et souvent elle n'y parvient pas avant que l'assassin ait été tué à son tour par la famille de la victime. C'est ce qui se passera pour Guillaume de Flavy : égorgé par l'amant de sa femme, il fut vengé vingt ans plus tard par sa famille, mais ce n'est que soixante ans après sa mort que la question fut réglée par la justice[35]. Ne soyons donc pas surpris de ce que le meurtre d'un personnage aussi éminent que le duc d'Orléans, frère du roi, ait enclenché des représailles à l'échelle du royaume et que les conséquences s'en soient fait sentir encore un siècle plus tard : on montrait encore à François Ier le crâne de Jean sans Peur, mutilé par la hache de Tanguy du Chastel, en lui disant que c'était par ce trou que les Anglais étaient entrés en France. François Ier, qui était l'arrière-petit-fils de Louis d'Orléans, lui-même assassiné par ordre de Jean sans Peur, dut follement apprécier le commentaire.
 
C'est au niveau des princes que les choses se décidaient, et les habitants d'une province suivaient généralement les orientations politiques de leur seigneur. Or la morale des nobles est la même que celle de leurs sujets : honneur des femmes, virilité des hommes et surtout réparation des affronts. Que leurs décisions aient été suivies à la lettre et avec enthousiasme serait beaucoup dire, et l'on va voir dans bien des cas des fissures dans la fidélité que les nobles de moindre rang devaient à leur suzerain. Lorsqu'il est impliqué dans ce genre d'affaire, la force du roi de France réside en ce que ses vassaux rebelles courent le risque d'être désertés par leurs propres subordonnés. Louis XI, surtout, en jouera subtilement ; on verra que son père en fit autant.
 

Fidélités

Louis d'Anjou roi de Naples, René d'Anjou roi de Jérusalem, le comte de la Marche roi de Hongrie : le duc de Bourgogne peut se rêver roi de Lotharingie. Cela fait beaucoup de rois, mais ce rêve est hors de portée des simples comtes, à plus forte raison des bannerets et châtelains qui sont un rang au-dessous. Pour eux, l'avancement passe par le service d'un roi ; voire d’un duc, celui du roi de France étant évidemment plus prestigieux, plus rentable aussi. Mais la voie n'est pas toute tracée. Pour peu qu'on ait quelque mort à venger – or les Anglais ont beaucoup tué à Azincourt et plus encore à Verneuil, et les Bourguignons ont beaucoup tué à Paris - des fidélités peuvent basculer. Mais le conflit entre vengeance et ambition explique bien des retournements : Jean de Grailly, comte de Foix, initialement serviteur de Charles VII, pouvait désirer venger son frère, tué à Montereau par les hommes du roi. De fait, il fut destitué en février 1420 de sa dignité de gouverneur de Languedoc[36], soi-disant pour avoir confisqué l’argent de sa province. Il chercha alors à se faire re-nommer à son poste par le duc de Bourgogne, moyennant son adhésion au traité de Troyes[37]. Mais le Languedoc était désormais solidement tenu par Charles VII, qui s’était investi lui-même du gouvernorat. Jean de Grailly finit donc par se soumettre. Son ralliement lui valu d'être nommé à nouveau gouverneur de Languedoc en janvier 1425 : seul le roi pouvait faire cela et seul un roi légitime pouvait lui conserver son titre. Le comte de Foix passa donc progressivement du rang d'ennemi incommode à celui d'allié incommode, jusqu’à sa mort en 1436. Un poste important valait bien un frère, et d’ailleurs rien ne nous assure que le comte de Foix avait adoré le sien. Mais il faut également chercher qui – dans sa famille – pouvait l'entraîner dans la révolte, et qui il pouvait lui-même impliquer : or nous trouvons parmi ses parents les La Trémoille et les Albret, dont le rôle est effectivement ambigu jusque dans les années 1427.
 
De la même manière, Arthur de Richemont, ayant échoué à s'emparer du pouvoir en 1428, se retrouva confiné dans Parthenay, où, il faut bien le dire, il ne semble pas avoir souffert de la moindre menace en provenance de l'Anjou, à la frontière duquel Parthenay se trouve pourtant. Cadet du duc de Bretagne, il n'avait pas grand chose à attendre, sinon une hypothétique succession en sa faveur, ce qui lui arrivera d'ailleurs un an avant sa mort. L'alternative était sans surprise : soit il restait révolté contre un roi qui se renforçait visiblement, enfermé dans Parthenay où on finirait bien par venir le chercher à main armée (un bailli royal, Guillaume Bellier, qui avait été le capitaine de Chinon sous les ordres de Richemont, y fut même institué en 1428, ce qui semble indiquer que le projet de prendre la ville avait été caressé), soit il se faisait pardonner, quelque en soit le prix, et redevenait connétable de France. Moins de deux ans après sa révolte, Arthur de Richemont venait prêter main-forte aux Français qui assiégeaient Beaugency et combattait à Patay. Il y fut reçu de manière mitigée par Jeanne d'Arc et fraîchement renvoyé par Charles VII, mais finit par rentrer en grâce en 1433. Dès lors, assagi et ayant pris conscience de qui était le maître, il ne se mêla plus que de faire la guerre. A lire son chroniqueur, il semble d'ailleurs que Charles VII ait de temps en temps cédé à la tentation de lui faire payer, du moins en paroles, son agitation passée. C’était, là encore, une faible facture pour la charge prestigieuse que Richemont occupait, et il fit dès lors le profil le plus bas possible. Seul le roi pouvait attribuer à ces nobles entreprenants et ambitieux les titres qui leur fourniraient honneur, moyens matériels et considération ; c'était sa force.
 
Mais ces nobles de second rang menaient eux aussi leur propre politique matrimoniale, qui pouvait les faire échapper à une clientèle à laquelle ils pouvaient sembler destinés : épouser une riche héritière fera ainsi d’Antoine de Chabannes un comte de Dammartin. Toutefois, un bon mariage n'est pas qu'un moyen de parvenir à la richesse, c'est aussi un traité de réassurance. Le 1er novembre 1424 eut lieu le mariage de Jean, seigneur de Jonvelle, frère de Georges de La Trémoille, avec Jacqueline, dame de Rochecorbon, sœur de Louis d’Amboise, vicomte de Thouars, d'ailleurs hostile à Charles VII. En février – 1428 ou 1430[38] - Georges de La Trémoille, ayant supplanté Louis de Chalençon comme chambellan du roi en se brouillant au passage avec Richemont, fut capturé par Louis d'Amboise, fidèle du même Richemont[39]. On peut croire que La Trémoille, qui avait participé au meurtre de Pierre de Giac, avait une idée très exacte de ce que risquait un chambellan royal hostile au connétable. Pourtant, il n'en mourut pas, mais fut libéré contre rançon : peut-être avait-il, dans son inquiétude, promis de lui-même monts et merveilles à ses ravisseurs ; après tout, Louis d'Amboise était le beau-frère de Jonvelle, pas le sien, et il lui fallait sans doute aussi intéresser ses complices, André de Vivonne[40] et André de Beaumont[41], qui ne devaient rien à La Trémoille. En novembre 1430, Louis d'Amboise et ses complices furent à leur tour arrêtés par le roi. Leur sort fut sans surprise : s'attaquer à un officier royal de ce rang était un crime de lèse-majesté au second degré, et ils avaient de plus caressé le projet de s'emparer du roi lui-même, ce qui représentait le 1er degré. Le 8 mai 1431 ils étaient condamnés à mort. Toutefois, Louis d'Amboise n'en mourut pas non plus, et on lui rendit même ses biens en septembre 1424 – encore que le roi ait gardé le château de Talmont et celui d’Amboise[42]. Sans doute avait-il eu, lui aussi, à payer rançon, mais il pouvait être à même de comprendre que la vie coûte cher ; après tout, La Trémoille n'était plus alors au pouvoir pour le protéger, et Charles VII ne devait rien à Louis d'Amboise. On voit ici que ces alliances, qui sont autant de traités de réassurance, sont efficaces. De plus, elles sont reconductibles : la benjamine de Louis d'Amboise, Marguerite, épousa Louis de La Trémoille, le fils aîné de Georges : tout était bien qui finissait bien, et finalement au profit de Charles VII, qui y gagnait deux forteresses[43]. L'une d'entre elles – Talmont - servit à récompenser, à peu de frais, Rodrigue de Villandrando, qu'il s'agissait d'attirer hors de la clientèle du duc de Bourbon, où il faisait pis que pendre[44]. Tels sont les arrières-plans politiques et mentaux de la lutte qui éclate à la suite de la défaite de Verneuil.
 

Pour une relecture des années obscures (1424-1428)


L’assassinat du duc de Bourgogne met le feu aux poudres

 
Les chroniques du temps font généralement remonter les racines du conflit à l'assassinat du duc d'Orléans, ce qui est finalement exact, mais la guerre ne fit que couver pendant les 12 années suivantes : le duc Louis avait eu une politique ambitieuse, royale, et une bonne partie des grands vassaux du royaume avait dû soupirer de soulagement à sa mort. Les arguments avancés ici et là, y compris la Justification du Tyrannicide par Jean Petit, n'étaient la plupart du temps que des fadaises : les autres princes en faisaient ou allaient en faire autant, sinon plus que lui : son véritable crime était sans doute d'être capable de mener à bien ses projets. Jean sans Peur survécut à la faide des Orléans parce qu'il était plus riche, plus puissant qu'eux, mais aussi parce que Louis d'Orléans avait effrayé tout le monde, y compris son propre frère. Cette puissance et cette impunité bourguignonne ne pouvait qu'inquiéter les trois dauphins successifs, qui allaient un jour devoir régner en comptant avec ce très puissant vassal : l'exemple du roi d'Angleterre suffisait à démontrer que la chose était inconfortable avec un seul ; alors, avec deux…
L'aîné des fils de Charles VI, Louis de Guyenne, favorisa les Orléans, mais il mourut tôt. Là encore, les bruits qui courent sur son compte (débauche, paresse) ne sont probablement que le résultat des efforts des thuriféraires du duc de Bourgogne, dont la propagande fut facilitée par le fait que Louis de Guyenne fut le malheureux vaincu d'Azincourt.
Son frère, Jean de Touraine, passe pour un bourguignon parce qu'il avait épousé une fille du comte de Hainaut. C'est oublier que son aîné avait épousé une fille de Jean sans Peur, ce qui ne l'avait pas empêché de chercher à équilibrer l'influence de la Bourgogne. Mais se réfugier dans le giron de son plus dangereux compétiteur et en faire un soutien, voire l'affaiblir en héritant d'une partie de ses biens, pouvait être aussi une stratégie efficace : Louis XI tentera la chose. Nous ne savons pas grand chose de ce qu'aurait pu devenir le second dauphin, qui mourut en 1417, un an et demi après son frère.
Le troisième fils de Charles VI, Charles de Ponthieu, fut rangé d'office parmi les ennemis de Bourgogne parce qu'il était le gendre de Louis II d'Anjou. Celui-ci s'était posé en défenseur de la royauté après la révolte cabochienne, ce qui lui avait permis d'entrer au conseil royal : à partir d'avril 1417, il le dirigea. Appuyé sur le connétable d'Armagnac, Louis d'Anjou n'eut pas le temps de développer une politique particulière : malade, il retourna à Angers et y mourut en décembre. Le connétable d'Armagnac allait tout simplement confisquer le pouvoir : c'était d'autant plus facile que Louis II avait fait interner la reine Elisabeth de Wittelsbach à Marmoutier. Le duc de Bourgogne fit libérer la reine – qui s'était pourtant jusque là opposée à sa politique de toutes ses forces – et fort de cette nouvelle légitimité, il s'empara de Paris en mai 1418 et y fit tuer un grand nombre d'Armagnacs. A partir de ce moment, l'ampleur des ressentiments individuels fait prendre au conflit une autre dimension, plus personnelle. Parmi les officiers et capitaines de Charles VII, la plupart avaient à la fois un parent tué à Azincourt et un autre à Paris : ceux-là étaient sûrs, ils avaient une revanche à prendre, et peut-être étaient-ils choisis pour cela. Chassé de sa capitale, le dauphin Charles de Ponthieu est alors acculé à réagir en chef de parti. Or il y justement un parti sans chef, celui des Armagnacs. Ce que Charles de Ponthieu, qui venait de se proclamer régent du royaume, n'avait peut-être pas prévu, c'est qu'en agissant ainsi il n'allait pas pouvoir laisser les partisans de l'un et l'autre camps s'entretuer en tentant ponctuellement de ramener un semblant d'ordre, mais qu'il allait se trouver en première ligne. Peut-être n'avait-il, d'ailleurs, guère le choix..
 
L'assassinat de Jean sans Peur, le 1er septembre 1419, était peut-être une erreur politique – elle fut en tout cas vigoureusement combattue comme telle par son chancelier Robert le Maçon – mais elle fut peut-être aussi considérée sur le moment comme inévitable : l'assassinat était nécessaire car il paraissait évident que le duc ne cesserait jamais d’être un trublion incontrôlable, il pouvait être sans conséquence pratique vue l’insatisfaction qui régnait chez ses alliés parisiens du fait de sa procrastination, et de toute manière, il s'agissait d'une satisfaction exigée par les partisans de Charles VII pour continuer à servir la cause du dauphin. Le duc de Bourgogne s'était chargé d'un très lourd passif en faisant assassiner son cousin d'Orléans, et, dans la foulée, en faisant – ou en laissant – massacrer les partisans des Armagnacs lors de sa prise de Paris en 1418. Les quelques milliers de victimes qui y trouvèrent la mort – et parmi elles le connétable d'Armagnac, le chancelier Henri de Marle et Hector de Chartres – avaient des frères et des fils, qui se trouvèrent ainsi obligés de les venger, sous peine de déchoir, sans même parler de leur profond désir personnel de voir mourir l'assassin de leur parent. En cherchant un peu, on trouve dans le fond de la mentalité des Français de ce temps, et pas seulement chez les nobles, et peut-être pas seulement de ce temps, qu'il n'y a que la mort qui puisse venger certains affronts, et parmi elles le meurtre d'un proche. C'est donc sans surprise que l'on trouvera, parmi les assassins du duc de Bourgogne, des parents, des amis ou des vassaux des victimes des crimes de Jean sans Peur. Tanguy du Châtel, Guillaume Bataille, Robert de Lairé, Guillaume de Lara (vicomte de Narbonne) étaient d'anciens serviteurs du duc d'Orléans assassiné, Guillaume de Narbonne étant, de surcroît, le neveu du connétable d'Armagnac. Aux côtés des Armagnacs se trouvaient également des Angevins, qui avaient d'abord servi Louis d'Anjou, qui avait lui-même fait l'objet d'une tentative d'assassinat bourguignon. Dans le conseil du dauphin, où avait été décidée la mort du duc, se trouvait également Regnaud de Chartres, dont on fait fort imprudemment un partisan du duc de Bourgogne, alors qu'il lui fallait venger la mort de son père tué à Paris.
 
Il y avait d'ailleurs bien d'autres comptes à apurer : toujours à Montereau, mais cette fois parmi les compagnons du duc de Bourgogne, on trouve Archambaud de Navailles, qui était le frère du comte de Foix. C'est la seconde victime de l'attentat de Montereau, volontairement ou par accident : les comtes de Foix, plus ou moins hostiles au roi - on pourrait dire par tradition - étaient également en mauvais termes avec les comtes d'Armagnac, et Guillaume de Narbonne, qui fut l'un des deux qui poignarda Navailles[45], a peut-être jugé que l'occasion était belle de régler quelques vieilles dettes personnelles.
 
La mort du duc était probablement inévitable : elle seule pouvait apurer tous les comptes dans une société où une réconciliation de façade débouchait généralement sur la vengeance à froid, dix ou vingt ans après. Mais elle allait avoir des conséquences que le dauphin Charles ne semble pas avoir prévues. Au lendemain du meurtre, il écrivit au fils de la victime, expliquant la chose par un regrettable concours de circonstance : la faute était rejetée sur Navailles, qui aurait tiré l'épée et ainsi provoqué une rixe. La mort de Jean sans Peur était déplaisante assurément, mais présentée ainsi comme accidentelle, et Philippe le Bon était fermement invité à se joindre à la lutte contre les Anglais, objectif prioritaire, et de laisser de côté ses ressentiments personnels, que Charles VII, fils d'un père fou, semblait singulièrement sous-estimer. Et puis le duc de Bourgogne avait également une vengeance familiale à tirer des Anglais : deux de ses oncles, Philippe de Nevers et Antoine de Brabant, avaient fait partie des victimes de la bataille d’Azincourt. Philippe le Bon - qui aimait son père plus que Charles VII semble avoir jamais aimé le sien - détenait alors le roi Charles VI et la reine Isabeau de Bavière et se trouvait ainsi en position d'arbitre. Il pouvait se rallier au roi en avalant les couleuvres que Charles d'Orléans avait dû avaler avant lui ou choisir de se tourner vers le roi d'Angleterre, moyennant vengeance. Ce fut cette solution qu'il choisit. Son remariage avec la veuve de son oncle de Nevers pouvait également passer pour un message en direction de Charles VII : il remplaçait Michelle de France, sœur du dauphin, par la veuve de celui qu'il aurait dû venger ; la mort de son oncle était finalement pour lui un moyen d'accroître ses terres. Le choix entre la vengeance familiale ou le nationalisme restait ambigu, mais le duc de Bourgogne fit de Henri V un roi de France, lui apportant le roi, la reine et leur fille Catherine et lui fournissant les cerveaux qui rédigèrent le traité de Troyes. Grâce à leur rédaction subtile du traité, il restait vassal du roi de France, dont le roi d’Angleterre n’était que régent, sous condition que le soi-disant dauphin serait mis hors la loi. Et après la mort de Charles VI, il serait toujours vassal du roi de France, fils de Henri V, mais petit-fils de Charles VI.
 
C'est généralement à partir de ce moment là que les auteurs récents commencent à accumuler les contre-sens, le terme "soi-disant" désignant un dauphin autoproclamé et nom un pseudo dauphin que sa mère aurait déshérité en négociant le fameux traité. La pauvre Elisabeth de Wittelsbach, déjà peu gâtée par l'historiographie française qui l'affubla du surnom peu gracieux d'Isabeau de Bavière, voyant en elle une autrichienne en quelque sorte annonciatrice de Marie-Antoinette, avait en réalité non seulement été victime d'une politique de dénigrement de la part du duc Jean sans Peur, mais elle ne fut même pas consultée dans la rédaction du traité. C'est donc bien injustement que l'on voit en elle la femme qui aurait perdu le royaume dans la prophétie que Jeanne utilisa pour se faire accepter par Baudricourt. Loin d'être considérée avec la reconnaissance qu'ils auraient pu avoir pour celle qui leur aurait ainsi servi le royaume de France sur un plateau, les Anglais la confinèrent dans un rôle obscur et en une sorte de relégation dans sa résidence parisienne : elle disparaît pratiquement des sources jusqu'à sa mort, ce qui montre bien ce que les Anglais lui devaient. Reine douairière et belle-mère du roi jusqu'en 1422, elle n'est plus grand chose après et le duc de Bedford n'aura pas grand chose à voir avec elle. En 1431, l'on note simplement qu'elle assista au défilé de son petit-fils anglais, couronné roi à Paris ; il ne semble même pas qu'elle ait assisté au couronnement proprement dit.
 
A l'issue de l’assassinat de Montereau, Charles VII garda par-devers lui deux personnes qui faisaient partie de la suite du duc de Bourgogne : le comte de Clermont et Pierre de Giac. Le rôle du second, il faut bien le dire, avait été extrêmement ambigu dans cette affaire : c'était lui qui était chargé de fouiller les partisans du roi à leur entrée sur le pont de Montereau, et il n'aurait pas trouvé la hache que Tanguy du Chastel dissimulait sur lui. Soit qu'il ait été connivent du meurtre, soit qu'il ait compris que sa sottise allait être cruellement sanctionnée par Philippe le Bon, il passa au camp du Dauphin. Ce dernier n'avait pas forcément de raison de sauver la mise d'un incapable ou d'un maladroit, mais Giac présentait un autre intérêt : comme Clermont d'ailleurs, il était stratégiquement implanté entre le Berry et le Lyonnais[46]. Encore une fois, Clermont, qui deviendra duc de Bourbon en 1434, n'est pas un pion sans importance dans le jeu du Dauphin Charles : héritier du duché d'Auvergne par sa mère[47], comte de Forez, de Beaujolais et d'autres territoires moins stratégiques, il dominait les territoires qui séparaient Berry et Dauphiné. Sa bonne volonté était nécessaire pour permettre le passage de secours envoyés en Dauphiné, la situation de cette province, coincée entre la Savoie et la Bourgogne, et où le prince d'Orange était un puissant compétiteur, restant longtemps délicate. Enfin, tant Auvergne que Bourbonnais permettaient l’accès aux provinces du sud du royaume : Lyonnais, Nîmois et Toulousain et surtout Languedoc. Le sud, relativement épargné par les troubles et hors de portée des Anglais, semble avoir été la base financière du tout jeune Charles VII, d'où l'importance, dans les premières années de son règne, de personnalités comme le président Louvet[48]. Une des preuves de l’importance que le Dauphin Charles attribuait au Languedoc est le fait qu’il s’institua lui-même gouverneur de la province de 1420 à 1425[49]. Or, la mainmise de Charles VII une fois assurée sur la Provence, la grande question devenait la liaison entre les territoires du centre et du sud : à partir de 1425, les Auvergnats vont remplacer les Provençaux, qui peuplaient auparavant le Conseil. A partir de 1433, ils seront remplacés à leur tour par les Angevins : un large spectre d'origines géographiques pourrait laisser croire à un recrutement dû à la faveur ou au mérite ; une telle évolution montre que les raisons étaient géopolitiques : l'attention du roi se déplace du sud vers le nord, et se porte finalement sur la frontière de la Bretagne : son fils et son petit-fils encore y prêteront toute leur attention, allant jusqu'à sacrifier une alliance avec une héritière bourguignonne qui nous paraît pourtant plus intéressante.
 
Dès 1419, on peut donc dresser un panorama où le futur Charles VII est comte de Ponthieu (titre qu’il portait depuis sa naissance, mais largement théorique car le Ponthieu était situé tout au nord du royaume et fut rapidement occupé par les Anglais), duc de Touraine (qui lui avait été donnée en juillet 1416, qu’il avait dû reconquérir militairement en 1418 et qu’il ré-attribuera de-ci de-là en fonction des circonstances), du Dauphiné (dont il devient Dauphin en 1417), le maître enfin, à partir de mai 1417, du Berry et du Poitou, qui étaient revenus à la couronne à la mort du duc de Berry. Obligé de faire le grand écart entre ses alliés angevins et orléanais d’une part, et entre les Armagnac et les Foix de l’autre, il doit lutter contre les appétits Anglais – mal définis peut-être – et les désirs de vengeance du duc de Bourgogne : heureusement pour lui, les ambitions de ces deux derniers camps étaient parfois concurrentes.
 
Entre les deux, non pas neutres mais de fidélité fluctuante, se trouvent les Bretons, heureusement un peu excentrés. A partir de 1420, le dauphin Charles prit également parti dans le vieux conflit qui opposait les Montfort aux Blois-Penthièvre pour la possession du duché de Bretagne. Le duc Jean V avait rendu quelques services au dauphin, mais il venait de signer une trêve avec les Anglais. Prenant dès lors fait et cause pour Olivier de Blois, comte de Penthièvre, Charles VII semble avoir approuvé l'enlèvement du duc et de son frère, le 12 ou 13 février. Ce parti-pris allait également enfoncer un nouveau coin entre ses intérêts et ceux des Angevins, son chef, Louis III d’Anjou, ayant épousé une fille du duc de Bretagne en juillet 1417.
 
Cette même année 1420, le 1er septembre, la mort du comte de Vertus, dernier fils légitime et encore libre du duc Louis d'Orléans, incita le bâtard d'Orléans[50] à se rapprocher du roi : à partir de cette date, les Armagnacs et les royaux seront définitivement confondus dans les sources bourguignonnes. En réalité, il ne semble pas que le comte de Vertu ait le moins du monde tenté de s'imposer face au Dauphin. Cette identification des intérêts royaux et Orléanais empêchera Charles VII de se poser en arbitre des conflits, mais elle lui donnera en même temps le soutien d'un parti qui aurait pu, éventuellement, s'opposer à lui sur quelques points. Si le bâtard d'Orléans, devenu comte de Dunois en 1441, a pu tardivement se révolter contre Charles VII, au moment de la Praguerie, il fut néanmoins dans ses débuts l'un des rares aristocrates à ne marchander ni son soutien ni sa fidélité au roi. On peut considérer aussi que Charles VII, en faisant assassiner Jean sans Peur, lui avait donné des gages suffisant à le satisfaire pour longtemps. Par ailleurs, Louis d’Orléans avait mené une politique tout à fait conforme aux menées de Charles V, même si elle était largement à son profit : Charles VII pouvait la reprendre à son compte sans difficulté, sans complexe  et sans contestation : le duc légitime des Orléans, prisonnier en Angleterre, allait passer les deux décennies suivantes à faire des poèmes. Henri V, qui voyait en Charles d'Orléans un adversaire dangereux pour sa conquête, n'avait pas compris, lorsque sur son testament il précisait qu'il fallait libérer le duc d'Orléans le plus tard possible, qu'il dégageait en fait la voie de Charles VII d'un compétiteur éventuel.
 
Le parti des Orléans, appelé Armagnac à partir du moment où le connétable d'Armagnac devint son bras armé, était d’ailleurs en perte de vitesse : il n'avait jamais réussi à obtenir durablement la condamnation du duc de Bourgogne. Jean sans Peur était certainement une personnalité plus agressive et organisée que les fils de Louis d'Orléans, de surcroît, la Bourgogne et la Flandre étaient les plus riches provinces d'Europe et lui fournissaient plus de moyens qu'à n'importe quel prince. Pour les Orléanais-Armagnac, le ralliement au roi évitait également une capitulation honteuse devant le duc de Bourgogne, tout était donc pour le mieux.
 
Pourtant, face à la puissance économique de la Bourgogne, le dauphin Charles semble d’abord faire pâle figure : non seulement deux des plus riches provinces du royaume, la Normandie et la Bourgogne, sont aux mains de ses ennemis, mais une grande partie du reste ne lui rapporte pas grand chose. La guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons règne encore partout, ruinant les villes qui voyaient leur terroir et leur commerce menacés, ou qui devaient dépenser des fortunes pour renforcer leurs défenses. Les villes se retranchèrent derrière la cherté des temps et les menaces des gens d'armes pour refuser toute augmentation de leurs contributions ou pour faire traîner les paiements en longueur. La vérité oblige à dire que les finances du dauphin ne sont pas les seules à être touchées : les années 1422-1424 verront des incursions sanglantes des troupes royales dans le nord-est du royaume, en Ponthieu, en Lorraine, et les Français ne semblent abandonner aux Anglais qu’un territoire ruiné par une résistance opiniâtre et des retours offensifs.
 
Mais l’autorité du Dauphin est d’autant moins absolue entre 1418 et 1422 qu’elle reste en quelque sorte contractuelle : lieutenant du roi son père, puis auto-proclamé régent, il n'est pas roi avant la mort de Charles VI, et il aura alors affaire à un compétiteur dans la personne de son neveu, le tout jeune Henri VI. Pour une bonne partie de ses contemporains, c'est le sacre à Reims qui fait le roi de France, malgré les tentatives des juristes de son grand-père pour accréditer l'hypothèse inverse. Jeanne d'Arc elle-même viendra le lui jeter à la figure à son arrivée à Chinon, et une grande partie des historiens des siècles suivants lui a emboîté le pas en cela, sans prendre garde aux anachronismes dans lesquels ils risquaient de tomber. Ainsi, après la défaite des Harengs, lorsque le conseil royal examina la question de faire se réfugier le Dauphin en Dauphiné, voire en Ecosse, il n'était nullement question de mettre à l'abri Charles VII, qui était le roi depuis sept ans, mais de protéger son fils, le dauphin Louis, en l'envoyant dans son domaine nominal ou chez son futur beau-père. Consolons-nous en constatant que même les contemporains, et notamment les Bourguignons qui affectent de ne désigner Charles VII que comme "le Dauphin", s'y sont parfois également trompés.
 
La situation restait également incertaine du fait que certains chefs de familles, comme le duc de Bourbon ou le duc d’Orléans, étaient encore prisonniers depuis Azincourt : l’orientation politique de leurs héritiers était susceptible de varier pour ne pas déplaire aux vainqueurs qui pouvaient encore modifier les montants des rançons. Enfin, localement, on trouve des villes ou des seigneuries appartenant en propre à des ennemis du roi, ou servant de points d'ancrage à des troupes hostiles. Si l’exemple de Tournai et Vaucouleurs, villes royales en territoire ennemi est bien connu, il y a à l’inverse des villes hostiles au dauphin Charles dans ses propres domaines, comme Tours, ou Azay le Rideau : le seigneur d'Azay-le-Rideau était Jacques de Montberon, fils de Jean, seigneur de Montberon, qui allait être créé maréchal de France par les Anglo-Bourguignons en 1420. On retrouvera encore Jacques de Montberon en 1431 : il est alors capitaine de Thouars pour le compte de Louis d’Amboise, qui vient d’être condamné à mort pour avoir voulu enlever Charles VII.
 
La mort quasi simultanée des rois de France et d'Angleterre en 1422 renversait la donne : à un roi de France fou et un roi d'Angleterre conquérant succédait un roi de France dynamique et bien entouré et un enfant en Angleterre, soumis à la tutelle de deux oncles qui ne s’entendaient guère. Pendant quelque mois on put croire que les Anglais allaient être chassés : ils avaient subi l’année précédente un revers sanglant à la bataille du Vieil-Baugé, au cours de laquelle un des frères de Henri V, le duc de Clarence, avait été tué. Non seulement les alliés écossais de Charles faisaient preuve de leur efficacité, mais la menace anglaise dirigée vers Angers poussait les Angevins à serrer les rangs avec le Dauphin. Certes, les Français avaient subi un revers à Cravant le 31 juillet 1423, mais il avait été racheté par la victoire de la Gravelle le 26 septembre suivant.
 
C’est dans ces conditions que Morosini annonçait une prochaine victoire du roi Charles : tout semblait l’annoncer. L’année 1424 commençait en fanfare pour le nouveau roi de France : une conspiration s'ourdissait à Paris pour reprendre la capitale, Guillaume d'Albret, seigneur d'Orval, venait à la rescousse de Bazas en pleine Guyenne anglaise, Prégent de Coëtivy et le maréchal de Séverac contre-attaquaient aux frontières de la Bourgogne, Jacques d'Harcourt faisait de même en Ponthieu. Mais la conspiration fut découverte, et les trois capitaines furent refoulés par Salisbury et Jean de Luxembourg. Les choses s'équilibrèrent ensuite : Compiègne fut prise par les Français en janvier 1424, mais reprise en mars, le Lyonnais fut menacé par Salisbury, mais dégagé par le maréchal de la Fayette.
 
 

Le désastre de Verneuil - 17 août 1424

Le coup de cymbale de ces années est donc Verneuil ; neuf ans ont passé depuis Azincourt, le roi de France a refait ses forces et se prépare à un assaut décisif : ce sera un coup d'arrêt à l'extension anglaise. La ville d’Ivry avait été investie par les Anglais, et la situation des assiégés devenant franchement mauvaise, ils négocièrent une reddition sous condition : si aucun renfort ne leur était parvenu le 15 août, ils rendraient la ville ; si les assiégeants ne faisaient pas leur réapparition ce jour là, ils la garderaient. Entre-temps, des trêves permettaient de ravitailler et de soulager les deux camps. Une forte armée de secours française fut rassemblée pour la "journée d’Ivry" et fut confiée au nouveau comte de Touraine, Archibald Douglas, comte de Douglas, qui venait de débarquer en Bretagne. Outre les Ecossais, peut-être au nombre de quatre mille, qu'il commandait, il devait y avoir les vainqueurs de Clarence, les six cent lances milanaises amenées l’année précédente par Théaude (Teodoro) de Valperga et les Français qui s’étaient illustrés à la Gravelle : une armée nombreuse, qui avait fait ses preuves et qui avait vaincu.
La chronologie n’est pas très claire ici, mais il semble que, la "journée" d’Ivry étant écoulée, le capitaine de la ville, Girault de la Paillière, s’était, conformément aux accords passés, rendu au duc de Bedford. L’entrevue entre Bedford et la Paillière fut d’ailleurs des plus courtoises : chacun avait observé les termes du traité, et le gascon Girault, vexé de ne pas avoir été secouru à temps, fit même remarquer au duc que les Français n’avaient pas de parole. Toutefois, peut-être parce que l’armée anglaise était vraiment impressionnante ou parce qu’Ivry s’était déjà rendue, l'armée française se dirigea vers Verneuil et s’empara de la ville grâce à un stratagème : les Ecossais de l’armée, attachés, couverts de sang et poussant de tristes plaintes en anglais, convainquirent la garnison que l’armée de Bedford avait été détruite et qu’ils n’avaient aucun secours à attendre.
 
Le duc de Bedford se porta avec toute son armée sur Verneuil, où l’affrontement eut lieu le 17 août 1424. La bataille fut extrêmement féroce, aux dires de Wavrin du Forestel, qui y prit part, davantage même qu'à Azincourt (c'est là que se place l'épisode de l'attaque des Lombards sur les arrières du camp anglais et le massacre des pages anglais que Shakespeare situera à Azincourt). Les enjeux semblent avoir été clairement compris de part et d’autre : on était à un tournant de la guerre et Bedford, qui ne se déplacera ni pour Orléans ni pour Patay, paya même de sa personne, la hache à la main. La défaite qui s'ensuivit pour les Français fut extrêmement coûteuse en hommes : les renforts écossais furent anéantis, les principaux chefs français furent tués, comme le vicomte de Narbonne, les comtes d'Aumale, de Tonnerre et de Ventadour, ou capturés, comme le duc d'Alençon, le maréchal de la Fayette, le sire de Gaucourt[51]. Ce qu'Azincourt avait laissé, Verneuil l'acheva : Bourguignons et Anglais reprirent l'offensive, et réduisirent encore le royaume.
 
Le duc de Bourgogne s'était emparé de Tournus, La Bussière, La Roche-Solutré[52]. Il rapprocha le conflit du Berry en épousant la veuve de son oncle, la comtesse de Nevers qui était aussi la demie-sœur du comte de Clermont : non seulement il gagnait ainsi une frontière commune avec le Berry, mais il élargissait celle qu’il avait déjà avec le Bourbonnais, renforçant sa pression sur le comte de Clermont. En septembre 1424, eut lieu la grande expédition anglaise contre le Mont Saint Michel qui est peut-être à l'origine de l’intérêt de Jeanne pour saint Michel et même de la première manifestation de ses voix : si l’on recherche, conformément à ses dires, un jour de jeûne en été, il peut s’agir de celui des quatre-temps après l’exaltation de la sainte Croix, soit la troisième semaine de septembre[53].
 
Paradoxalement, cette fin de l'année 1424, qui paraît rétrospectivement comme le début d'une période difficile, est aussi le moment ou Charles VII tenta de reprendre une place diplomatique en Europe : n'était-il pas en train de reconquérir son royaume ? le désastre de Verneuil a pu lui paraître, sur le moment, comme un revers militaire désagréable qui allait, au pire, retarder quelque peu l'expulsion des Anglais ; c'était pourtant bien plus que cela, et d'autres forces étaient à l'œuvre qui allaient pratiquement aboutir à la mise en tutelle du roi.
 

L'heure de Richemont - 1425

Heureusement pour Charles VII, la dissension se mit alors entre Bourguignons et Anglais, lorsque le comte de Gloucester, le jeune frère de Bedford, se mit en tête de revendiquer le Hainaut, que le duc de Bourgogne considérait comme sa chasse gardée. Du coup, le duc de Bourgogne reprit les négociations avec les Français, sous l'égide du duc de Savoie et des trêves furent signées le 30 janvier 1425[54]. En mai-juin, des troupes françaises, commandées par Jean Poton de Xaintrailles et Charles de Longueval allaient même participer à des opérations conjointes avec les Bourguignons contre les Anglais occupant Braine-le-Comte. Les rapports n'avaient peut-être jamais été réellement cordiaux entre Bedford et Philippe le Bon, depuis que le premier avait assumé la régence qui aurait dû revenir au second, toujours est-il qu’à partir de cette date, le duc de Bourgogne paraît moins déterminé à remporter la victoire sur les Français, victoire qui pourrait bien se solder par une invasion de ses propres terres : désormais, il jouera une politique de bascule. Dans le même temps Charles VII menait à bien des négociations avec Jean de Grailly, comte de Foix[55], qui redevenait – en échange du comté de Bigorre – le lieutenant général de Charles VII pour le Languedoc (5 janvier 1425).
 
Le roi en fut alors réduit à passer par bien des conditions pour réduire la pression militaire qui s'exerçait sur lui, notamment du côté de la Bretagne : il accepta que le confesseur du duc devienne l'archevêque de Tours, quitte à faire envoyer l’archevêque en exercice, Jacques Gelu, un de ses conseillers, sur le siège d'Embrun pour libérer la place. Il engagea également son duché de Touraine (qui avait été précédemment offert au connétable d'Ecosse, mais ce dernier venait d’être tué à Verneuil) comme gage pour le mariage d'Isabelle de Bretagne et de Louis d'Anjou, son beau-frère, mariage censé garantir la paix mais qui aboutissait davantage au rapprochement des Angevins et des Bretons[56], et il donna quatre places en garantie au comte de Richemont, frère du duc de Bretagne, dont Mehun-sur-Yèvre et Chinon (donné en douaire à la duchesse de Guyenne, sœur de Philippe le Bon et épouse de Richemont, avec Montargis, Dun-le-Roi et Gien[57]). Ses affaires ne s'arrangeant pas avec la Bourgogne (prise de Guise et d'Irechon le 26 février 1425), il confia la charge de connétable à Richemont, le 7 mars 1425. Le coût de cette transaction était élevé, mais les avantages pouvaient faire que cela en vaille la peine : Charles VII n'avait plus d'armée depuis Verneuil, et pouvait se trouver en butte à des attaques sur trois fronts menées par des armées à peu près intactes (sauf l'armée anglaise, qui aurait compté 1.600 tués). Le ralliement du duc de Bretagne soulageait son flanc occidental, et pouvait même valoir aux Anglais de quoi s'occuper ailleurs que sur ses frontières. La nomination de Richemont à la dignité de connétable n'était pas seulement une garantie donnée au duc, c'était aussi le moyen d'obtenir un intermédiaire entre le roi et le duc de Bourgogne, qui était le beau-frère de Richemont. Ce dernier était d'ailleurs, au moment où il obtient sa charge de connétable, plus un négociateur qu'un chef de guerre, car son expérience militaire semble alors se limiter à la participation, du côté français, à la défaite d'Azincourt.
 
Mais il y avait un revers à cette médaille : dès le mois de février, un traité en quatre points avait été rédigé par le comte de Richemont et le duc de Savoie, qui établissait le principe d'une domination du conseil partagée entre les Bretons et les Savoyards[58], accord dont la réalisation fut amorcée par un renouvellement des alliances entre les ducs de Bourgogne et de Bretagne le 25 mars[59] et qui allait être confirmé par l'entrevue de Montluel le 10 mai. Au moment de son élévation à la dignité de connétable, Richemont avait dû jurer de ne pas chercher à nuire aux conseillers du roi[60], mais dès le mois d'avril, le duc de Bretagne souligna qu'il ne ferait rien tant que les conseillers qui avaient été connivents à son enlèvement resteraient au conseil du roi[61]. Les auteurs postérieurs ont souvent repris les arguments et les accusations bretonnes contre les conseillers en question sans bien en comprendre les tenants et les aboutissants : ainsi, le 3 mars, le Parlement de Paris enregistra une lettre du duc de Bretagne au duc de Bedford, accusant Tanguy du Chastel d'avoir assassiné en plein conseil le comte-dauphin Béraud d'Auvergne[62]. Que Béraud d'Auvergne ne soit mort qu'en juillet 1426 montre à l'évidence qu'il ne s'agissait que d'une calomnie, mais qu'importe : les accusations suivantes passeront plus facilement. Ainsi, Du Fresne s'inquiète de ce que du Chastel ait fait tripler la pension dont il bénéficiait depuis 10 ans "au plus fort de la pénurie du trésor", en octobre 1424[63]. Mais une vérification du titre des monnaies nous montre que la livre tournois avait été fortement réévaluée – de 50 % - en novembre 1423[64] : fort de ses premiers succès, Charles VII avait cru pouvoir fortement alourdir sa monnaie[65], signe que son trésor ne devait d'ailleurs pas être en un tel état de "pénurie". D'ailleurs cette affirmation n'est que la preuve que Du Fresne avait du mal à coordonner les informations qu'il apportait lui-même cinq pages plus tôt : le 12 mars 1424, les Etat généraux rassemblés à Selles avaient voté un subside d'un million de livres[66]. On pourrait même admirer la modération de Du Chastel, qui en 1416 était prévôt de Paris et en avait gardé les émoluments alors qu'il était devenu grand maître de l'hôtel du roi en avril 1423 : il avait visiblement attendu que les caisses royales soient pleines pour faire tripler ses gages. Ne jetons pas la pierre à Tanguy du Chastel : il avait fidèlement servi Charles VII, et son appétit était bien modeste par rapport à d'autres que nous allons voir se déchaîner. Il est d'ailleurs probable que le million promis n'avait pas été intégralement versé, mais il est non moins évident que les 100.000 livres que Yolande d'Aragon allaient obtenir peu après pour le mariage de son fils contribuèrent à épuiser le trésor bien plus vite que les gages de Du Chastel.
 
Le 28 mars, le duc de Bretagne renouvela son alliance avec le duc de Bourgogne, mais le roi refusa de céder à leurs pressions. Richemont rassembla des troupes, coalition géographiquement hétéroclite mais qui semble être l’émanation d’un parti aristocratique face aux "petites gens" qui se trouvaient alors au conseil royal[67], s'empara une première fois de Bourges. A la mi-mai, Yolande d'Aragon interdit aux états de Touraine de verser de l'argent au roi ce qui donne une indication sur la persévérance avec laquelle elle soutenait son gendre[68]. Le 2 juin, les partisans de l'alliance bretonne (Martin Gouge, évêque de Clermont[69], Jacques de Comborn, seigneur de Treignac, André de Vivonne) furent écartés du conseil royal. Immédiatement après, Charles VII quittait Poitiers pour s'avancer vers le Berry avec une petite armée, assisté de Jean de Brosse, Theaude de Valpergue, Pierre Frotier. Ce même 2 juin, Richemont écrivait à Lyon une lettre ou il accusait Louvet de détourner l'argent du roi et même de chercher de l'aide auprès des Anglais[70]. Charles VII atteignit Vierzon le 4 juin. Le combat fut évité sur l'insistance de Yolande d'Aragon, qui s'entremit en faveur du connétable. Le 12 juin, Béraud d'Auvergne et Louvet étaient envoyés dans le Valentinois, soi-disant en mission et dotés de pouvoirs étendus, mais ils laissaient en fait la place à Richemont. Louvet se fit escorter de son gendre le Bâtard d'Orléans qui semble avoir été englobé dans le nettoyage du conseil. La Chronique de la Pucelle affirme qu'il était pourtant "de l'alliance des autres", mais on le voit être dépouillé du comté de Mortain au profit de Charles d'Anjou, et en septembre, le lieutenant qu'il avait nommé à la tête de la garnison du Mont-Saint-Michel fut lui-même remplacé : il n'était pas de l'alliance de Richemont, et allait d'ailleurs bien le prouver dès son retour.
 
Le connétable commença par donner à Charles VII une garde qui était commandée par deux hommes à sa solde, Jacques de Comborn et Christophe d'Harcourt, baron d'Avré[71] (26 juin 1425). Charles VII était vaincu et se soumettait à la coalition menée par Yolande d'Aragon et Richemont[72], appuyés par le duc de Bretagne. Il désavoua publiquement Louvet : le 5 juillet, il signait des lettres accusant le président de mille maux, reprenant les termes de la lettre de Richemont, et notamment d'avoir exercé une "déraisonnable puissance" sur les finances et la diplomatie[73]. Les pouvoirs accordés à Béraud d'Auvergne et à Louvet furent supprimés. La foi que nous pouvons accorder à ces déclarations de commande est affaiblie par le fait qu'au moment du départ de Louvet il l'avait doté d'une lettre de recommandation destinée aux habitants de Lyon, et que la négociation pour laquelle Louvet avait été envoyé dans le sud fut effectivement menée à bien[74]. L'injure était pourtant insupportable à Charles VII, et il refusait le plus possible la présence du connétable. Louvet alla se réfugier dans sa seigneurie de la Mirandole[75]. Pierre Frotier[76], Tanguy du Chastel[77], Guillaume d'Avaugour[78], le médecin Cadart[79], allèrent résider dans le Midi, mais Giac, moins en vue peut-être, demeura à la cour. Les mois qui suivirent le renvoi du président Louvet se caractérisent par une main-basse des Anjou et des Bretagne sur les terres et le trésor du roi : on a vu que le roi avait déjà donné la Touraine en gage pour le mariage de Louis d'Anjou avec Isabelle de Bretagne, et promis de payer la dot de 100.000 francs[80], et que Richemont faisait établir le douaire de sa femme (Marguerite de Bourgogne, veuve du dauphin Louis de Guyenne) sur le domaine royal, notamment en obtenant les villes de Chinon et Dun-le-Roi. Yolande d'Aragon se fit encore attribuer les baronnies de Chavisson et de Massillargues, et Charles d'Anjou reçut le comté de Mortain enlevé au Bâtard d'Orléans. Si on fait un crime de l'augmentation de la pension annuelle de Tanguy du Chastel jusqu'à 2500 francs, que doit-on penser de la belle-mère du roi, effectuant en une seule fois une ponction 40 fois supérieure sur le trésor royal ?
 
La grande assemblée des gens de guerre que Richemont avait ordonnée pour réorganiser l'armée, et qui avait d'abord été contremandée de peur qu'il s'en servît contre le roi, se tint finalement mais ne déboucha sur rien de concret. Le connétable s’y était d’ailleurs pris trop tard pour entraver la progression anglaise dans le Maine : le 1er août, sa compagnie (commandée par John Stuart et Jean Girard[81]) était passée en revue à Saumur, mais le lendemain les Anglais prenaient Le Mans. La seule activité effective du connétable semble d'ordre diplomatique, tant vers le duc de Bretagne que vers le duc de Bourgogne, alors occupé par la lutte contre Jacqueline de Bavière, comtesse de Hainaut, femme délaissée de Gloucester. Ce dernier, rentré en Angleterre, entra en lutte avec son oncle le cardinal de Winchester, ce qui fit que Bedford dut quitter la France pendant 15 mois. Les circonstances semblèrent alors favorables aux Français : Suffolk avait déclaré la guerre au duc de Bretagne, à la suite de la nomination de Richemont et du renversement des alliances. Cela sembla, dans un premier temps, rapprocher le duc des Français : c’était d’ailleurs exactement le but recherché. Le duc de Bedford était occupé ailleurs, le duc de Bourgogne aussi : c'était le moment idéal pour reprendre l'offensive. Charles VII envoya semoncer le duc de Bretagne, pour toucher enfin les dividendes de tous ses efforts. Celui-ci réunit les Etats de Bretagne le 16 septembre pour leur demander leur avis : les Etats répondirent qu'il fallait porter secours au souverain. L'armée fut rassemblée à Saumur le 3 octobre. Toutefois, le duc exigea à la dernière minute l'administration financière des pays de langue d'Oïl et que le roi l'aide dans sa lutte contre la famille de Blois[82]. Enfin, la guerre contre l'Angleterre devait être menée avec les revenus propres du roi[83]. Cela lui fut accordé encore : du côté du roi, le traité fut signé par le comte de Clermont, le comte de Foix, son frère le comte de Comminges, le comte de Vendôme, le sire d'Albret, et le sire d'Orval[84]. En échange de ces lourdes contributions financières, le duc de Bretagne se faisait fort d'obtenir le ralliement du duc de Bourgogne. Le 7 octobre, le traité de Saumur fut signé, et Richemont, sa femme[85], le duc de Bretagne et le comte de Clermont écrivaient au duc de Bourgogne pour le presser de faire la paix. La situation de Charles VII semblait sur le point de se rétablir, d'autant que, le 2 décembre, le duc de Savoie acceptait de prolonger les trêves (seulement pour trois mois, mais prolongées par trimestre elles allaient se poursuivre l'année entière). En fait, tout était alors suspendu à la volonté du duc de Bourgogne, mais celui-ci ne donna pas suite. Nul doute qu'une décision favorable de Philippe le Bon à ce moment précis eut changé bien des choses : Jeanne avait eu pour la première fois "une voix de Dieu" l’été précédent, mais une réconciliation entre Philippe le Bon et Charles VII à ce moment là aurait probablement rendu inutile son voyage à Chinon. Toutefois, cela ne se fit pas : la répulsion que Philippe le Bon ressentait à l'idée d'aller s'agenouiller devant l'assassin de son père pour se reconnaître son vassal allait prolonger la guerre pendant 10 ans.
 
Si l'occasion de refaire l'unité du royaume semblait se présenter, la situation personnelle de Charles VII était difficile, lui-même étant réduit à l'impuissance (ce n'est même plus lui qui signe les lettres envoyées à ses villes) et ses anciens conseillers pratiquement annihilés : le 16 octobre, les états généraux se rassemblèrent à Poitiers (en fait les états d'Oïl seulement, les états d'Oc se réunissant en novembre à Mehun). Les Etats se plaignirent amèrement des ravages des soldats, surtout des Gascons, mais ce fut surtout l'occasion pour Richemont de faire rémunérer par le trésor non seulement les "amis" récemment ralliés mais aussi leurs serviteurs. Tous se servaient, dans des buts qui étaient peut-être opposés, mais qui finirent d'assécher le trésor royal, et qui entamèrent même le domaine, un comble alors qu'on venait de révoquer les aliénations faites par le roi pendant sa régence ; mais la mesure était évidemment dirigée contre ses anciens conseillers. La séance des Etats d’Oïl se termina le 20 octobre.
 
Pendant que les états d'Oc se réunissaient à Mehun, une armée était convoquée – fort tard – mais n'aboutit à rien de concret : non soldée par les Bretons en faveur de qui elle opérait (mais le duc de Bretagne avait spécifié que la guerre se faisait aux frais du roi), et le trésor royal étant asséché, elle finira par se débander sans rien faire.
 
Les membres les plus influents du conseil sont alors Yolande d'Aragon et le connétable, le comte de Clermont, le comte de Vendôme, le seigneur de Giac, le comte de Foix (et son clan : son frère le comte de Comminges, le sire Charles II d'Albret et son frère Guillaume sire d'Orval, le comte d'Astarac), et l'évêque de Laon[86]. Tous ces personnages n'appartiennent pas à la même coterie : les Gascons sont en train d’être détachés du connétable (quoiqu'en janvier 1427 Richemont ait réussi à passer une alliance particulière avec le comte de Foix dirigée contre le comte d'Armagnac et son frère Pardiac[87]), le comte de Clermont lui est encore fidèle ; l'évêque de Laon et Giac font figure de partisans du roi. La situation n'était en fait pacifiée qu'en apparence : le duc de Bourgogne temporisait et des bandes armées, installée à leur propre compte, compliquaient encore la situation. Ainsi, une ambassade menée par La Trémoille fut envoyée en décembre auprès du duc de Bourgogne : elle fut capturée en février de l'année suivante par Perrinet Gessart qui tenait la Charité-sur-Loire. Au même moment, une ambassade bretonne gagnait également la Bourgogne : le duc de Bretagne commençait à s'interroger sur le silence de Philippe le Bon. En fait, ce dernier était entièrement occupé par les affaires de Hollande : le 13 janvier suivant, il remportait sur Jacqueline de Brabant la bataille de Brouwershaven.
 
 

Le sursaut de Giac - 1426

L'année 1426 commença donc dans le plus parfait désordre : les Anglais avaient décidé de se venger des Bretons et Suffolk lança une expédition, qui s'empara de Saint-James-de-Beuvron. Le 18 février, les bénéficiaires de dons de l'année précédente furent retenus[88]. Tous n'étaient pas seulement des sangsues avides ; certains, comme Raymond de Coarraze, se firent un point d'honneur de valoir ce qu'on les avait payé : il se battit aux côtés de Nicole de Giresme et de Giraud de la Paillière et on le reverra encore à Orléans en 1429. Cela n'empêchait par Yolande d'Aragon, le 22 février, de se faire attribuer 10.000 livres supplémentaires pour le retour de son fils aîné, alors en Italie, et qui n'allait en fait rentrer chez lui qu'au mois de décembre suivant. Non seulement l'alliance coûtait de plus en plus cher, mais elle n'agissait qu'au profit du duc de Bretagne. Charles VII pouvait encore se consoler à la pensée qu'après tout, c'était contre les Anglais. Mais l'armée dirigée par Richemont échoua finalement sous les murs de Saint-James-de-Beuvron. Charles VII pouvait se dire qu'il avait payé fort cher pour un désastre ridicule : il se transporta à Montluçon (23 mars-12 avril) où il fit verser des dons à certains de ses anciens conseillers, Barbazan et Gaucourt (pour payer leur rançon : ils étaient prisonniers des Anglais), mais aussi au bâtard d'Orléans et au président Louvet, puis il rentra à Mehun. Le 27 mai, Richemont organisa un conseil de gouvernement et fit rééditer la révocation des dons du domaine, ce qu'on peut comprendre comme une punition de ceux qui n'avaient pas fait leur devoir en mars, ou une tentative supplémentaire d'annuler les dons aux anciens conseillers, les précédentes n'ayant peut-être pas été très efficaces en raison du peu d'enthousiasme de Charles VII. Mais la mesure toucha par contrecoup La Trémoille, qui avait reçu Melle pour le dédommager des frais de sa rançon. Richemont, visiblement, est alors au plus mal : ridiculisé par la défaite de Saint-James[89], il semble de plus abandonné par le duc de Savoie (lequel est peut-être alors en guerre contre le duc de Milan, si on en croit Monstrelet). Il expédia au duc de Bourgogne deux ambassadeurs qui étaient chargés de lui rappeler les effets de son action : vider le conseil royal de ceux qui avaient à la fois trempé dans le meurtre de Jean sans Peur et l'enlèvement du duc de Bretagne, les remplacer par des hommes à sa dévotion, mettre "le Dauphin" entre ses mains, gouverner en s'appuyant sur son frère et son beau-frère de Bourgogne et finalement chasser les Anglais[90]. On ne connaît pas la réponse du duc de Bourgogne : soit il n'était pas satisfait, soit il semble avoir considéré que la situation de Richemont n'était pas aussi solide qu'il y paraissait.
 
En effet, bien que tout montre que c'est le connétable qui impose une politique à la volonté du roi, les chroniques affirment au même moment que le roi est gouverné par Giac, ce qui ne peut en aucun cas signifier qu'il a une influence quelconque sur la politique alors menée : Charles VII est lui-même à peu près privé d'influence sur sa trésorerie et la conduite des opérations militaires. Le cas est tout à fait intéressant : il participe d'une légende noire de Giac, absolument pas vérifiée par les auteurs contemporains. Peut-être serait-il un peu exagéré de vouloir le réhabiliter complètement : il avait probablement été connivent à l'assassinat du duc de Bourgogne. Mais peut-être faut-il reconsidérer un peu plus sereinement les deux autres points de la légende de Giac, le don de sa main au diable et l'assassinat de sa femme, qu'il aurait empoisonnée avant de lui faire accomplir 40 km à cheval. Jeanne de Naillac, qui était enceinte au moment de sa mort, a peut-être succombé à une fausse couche consécutive à une trop longue étape à cheval, sans qu'il soit nécessaire d'imaginer un empoisonnement. D'ailleurs, le propre frère de Jeanne de Naillac servait Charles VII[91] et il ne semble pas qu'il ait cherché noises à Giac pour la mort de sa sœur. Ces accusations pittoresques se retrouvent d'ailleurs, il faut le souligner, uniquement sous la plume de Guillaume Gruel, le chroniqueur de Richemont, qui fit assassiner Giac : qui veut tuer son chien l'accuse de la rage. Peut-être est-il un peu naïf, voire un peu immoral, de reprendre à la lettre les propos de l'assassin concernant sa victime : Giac semblait plutôt mettre à profit le ridicule du désastre de Saint-James pour désorganiser les partisans de Richemont de manière à permettre à Charles VII de reprendre la main.
 
Des indications sur la composition du clan Richemont au sein de la cour sont données pour cette période par un acte officialisant la réconciliation du seigneur d'Arpajon[92] avec son oncle le maréchal de Séverac[93] : après la signature de Richemont, on trouve celle de Clermont, du comte de Foix, du connétable d'Ecosse (John Stuart of Darnley, qui avait commandé l'année précédente la compagnie personnelle de Richemont), du chancelier (Martin Gouge de Charpaigne, évêque de Clermont) et de l'amiral Louis de Culant ; il ne manque qu'un nom, celui de La Trémoille. Peut-être n’était-il pas considéré par Richemont comme un allié important. C’est en tout cas par La Trémoille que Giac commença une série de provocations : La Trémoille soutenait le sire de Culant dans une querelle contre Jean de Lignières ; Giac afficha son soutien à Lignières, puis au maréchal de la Fayette, ennemi personnel de La Trémoille. Enfin, le 17 juillet, il organisa une nouvelle garde royale, commandée par Jean de Brosse et comprenant 100 hommes d'armes et 50 de trait. La garde précédente, recrutée par Richemont, fut partiellement renvoyée. Les intrigues de la cour sont alors mal connues, et même difficilement compréhensibles, mais il semble bien que Charles VII se soit convaincu que les sacrifices qu'il avait consentis ne lui avaient rien rapporté de tangible et qu'il ait décidé de mettre à profit l'affaiblissement de Richemont pour se débarrasser de sa tutelle, ou du moins pour le remettre à sa place en s'attaquant à ses partisans. Richemont lui-même restant pour le moment intouchable, garant de l'alliance avec le duc de Bretagne. Visiblement, Charles VII avait gravement sous-estimé la violence dont Richemont allait faire preuve pour garder sa place et son influence.
 
A vrai dire, tout n'était peut-être pas négatif dans le pouvoir qu'exerçait Richemont : en août-septembre 1426, la situation semble se décanter à l'intérieur des "frontières". Les hommes d'armes qui se trouvaient dans les terres du roi sont envoyés au nord de la Loire pour y affronter les ennemis, signe peut-être que les places hostiles dans le territoire encore contrôlé par le roi sont désormais réduites. Il n'est pas certain que le connétable soit le seul responsable de la situation, puisque le comte de Foix est au même moment en train de pacifier le Languedoc. Là, au moins, la situation n'est que provisoire, puisqu'on assistera en 1430 à un retour offensif du prince d'Orange dans le Dauphiné, mais sur le moment le soulagement a dû être général en France, si tant est cependant que la mesure annoncée – par Richemont – ait été effective : en 1443 encore on voit que l'un des premiers but de la Grande Ordonnance qui institue une armée de métier est de faire vider les terres de l'intérieur des troupes mal contrôlées, dont certaines figurent dans la clientèle des princes territoriaux.
 
En septembre, Richemont prit le commandement de ces troupes dans le but, semble-t-il, de dégager le Mont-Saint-Michel et de fortifier Pontorson. Une fois de plus, il n'aboutit à rien. A la suite de quoi, il retourna en Anjou, et prit la tête d'une ambassade à destination de la Bourgogne en compagnie du comte de Clermont qui devait épouser Agnès de Bourgogne[94].
 
 

La rescousse de Montargis - 1427

En janvier 1427, le comte de Foix et Guillaume de Champeaux, évêque de Laon, partirent dans le midi : Foix venait de passer un accord particulier avec Richemont, mais on ne le voit aucunement, par la suite, donner le moindre commencement d'exécution à ce traité : peut-être fut-il alors retourné par Guillaume de Champeaux. Warwick commença d'assiéger Pontorson, mais Richemont ne fit aucun effort pour dégager la ville, qui se rendit finalement le 8 mai 1427.
 
Le 8 février 1427, Richemont fit assassiner Giac, assisté par La Trémoille et son demi-frère le sire d'Albret, Alain Giron[95], Robert de Montauban[96]. Au moment de la prise de Giac, pas de réaction royale : cela s'explique parce que Richemont est toujours soutenu par son frère le duc de Bretagne et par Yolande d'Aragon. D'autre part, La garde royale a beau être celle commandée par le maréchal Jean de Brosse, celui-ci semble bien avoir été une créature de Richemont : ce sera encore plus visible par la suite. Mais quoique puissent en dire Gruel et même Chartier, il est fort incertain que le roi ait été content de la mort de Giac ; la Geste des nobles note d'ailleurs que le "roi fut malcontent" de la mort de Giac.
 
Dans ces conditions, comment interpréter l'enlèvement de Martin Gouge de Charpeigne, évêque de Clermont et chancelier de France, par le comte de Clermont [D1] ? Ce dernier s'était éloigné de la cour en mars 1427 : on peut penser que son mariage avec Agnès de Bourgogne avait déplu au roi, ou qu’il avait joué un rôle dans la mort de Giac, mais on n’a aucune certitude. L'évêque de Clermont semble d’autre part avoir fait partie des partisans de Richemont : l'enlèvement était-il dirigé contre ce dernier ? C’est de fait Richemont qui négocia la libération de l’évêque : on le voit passer un traité avec Clermont en août, mais l'évêque ne sera finalement libéré que fin septembre, après la victoire de Montargis. Peut-être cet enlèvement était-il dû à une brouille passagère entre Richemont et Clermont, mais ils se réconcilieront par la suite. Si l’enlèvement avait pour but de peser sur Charles VII, c’était raté : le roi saisit l’occasion de déposséder l’évêque de Clermont, peu sûr, de sa charge de chancelier, et la confia une fois de plus à Regnault de Chartres, beaucoup plus hostile aux Bourguignons. Le retour de Martin Gouge coïncida, à peu de chose près, avec le départ de Richemont : Regnault de Chartres garda donc les sceaux. Mais Martin Gouge, qui après tout avait à l’origine été nommé chancelier en raison de ses compétences, ne fut pas pour autant banni, bien que son rôle ait été par la suite plus effacé.
 
La mort de Giac laissait le champ libre à Richemont, qui fit nommer Louis-Armand de Chalençon, seigneur de Beaumont[97], comme Premier Chambellan[98] dès avant le 13 mars. Celui-ci ne se fit guère remarquer par son activité, ce qui était sans doute plus sûr pour sa santé. Le mois de mai 1427, fut marqué par la prise et la destruction de Pontorson, que Richemont, retenu par le duc de Bretagne, avait renoncé à secourir[99] ; le 26 mai, les Anglais assiégèrent Vendôme. A partir de cette date, on voit Charles VII tenter de reprendre le pouvoir en mettant en avant le Grand Ecuyer Jean du Vernet, dit le Camus de Beaulieu. Cet écuyer était un ancien garde du corps du roi de la compagnie du vicomte de Narbonne. Le roi faisait ainsi appel aux membres de son ancienne équipe, et de plus en plus ouvertement : on note à ce moment le retour à la cour de conseillers écartés en 1425 (Hardouin de Maillé, Robert Le Maçon). A son retour, le 12 juin, Richemont fut pris de haut par le Camus de Beaulieu, mais il était encore trop puissant pour être abattu. Néanmoins, il fit cette fois appel à Jean de Brosse pour faire assassiner le garde du corps du roi. Peut-être son précédent homme de main, Alain Giron, était-il passé dans le camp du roi à la suite du refus de Richemont de défendre Pontorson : un Alain de Château-Giron [BO2] s'était fait tuer par les anglais en tentant de porter secours à la ville. En remerciement de ce haut fait, Richemont nomma Jean de Brosse maréchal de France. On comprend que, selon les mots de Gruel, "Dieu sait s'il y eut beau bruit" et la Geste des nobles note : "a grand peine se rapaisa le roy". Il y avait de quoi : le propre chef de la garde royale assassinait les hommes du roi.
 
De plus, les Bourguignons reprenaient l'offensive, malgré l'ambassade de la fin de l'année précédente. C'est alors que La Trémoille s'imposa à la cour. On a dit que c'était Richemont qui l'avait placé là pour remplacer le Camus de Beaulieu, d'après la chronique de Gruel, qui le présente comme l'un de ses plus sûrs partisans. Gruel ajoute que Charles VII aurait averti Richemont qu’il le connaissait mieux que lui et qu’il s’en repentirait[100]. Mais l'anecdote est peu vraisemblable : Le Camus n'était pas chambellan mais avait le titre de Grand écuyer, qui avait été la charge de Pierre Frotier. La Trémoille ne remplaçait donc pas Le Camus, mais Chalençon, créature de Richemont. D'autre part, Charles VII détestait ouvertement Richemont et ne l'aurait probablement pas averti de ses intentions. Ensuite, l'avertissement prémonitoire semble être un tic littéraire de Guillaume Gruel : il l'utilise également pour le chancelier Guillaume de Malestroit en 1458[101]. Enfin, Richemont avait installé Louis de Chalençon trois mois plus tôt, et on ne voit pas pourquoi il s'en serait débarrassé si vite, si ce n'est peut-être pour lui faire porter la responsabilité de la perte de Pontorson. Mais Chalençon resta apparemment en poste jusqu'à la fin de l'année 1427. Il est plus probable que c'est Charles VII qui a nommé La Trémoille pour contrer Chalençon. D'autre part, les Albret (Charles II et son frère Guillaume d'Orval) étaient passés depuis 1427 dans le camp de Charles VII et participèrent dès lors à toutes ses opérations contre Richemont, par exemple lors de la prise de Chinon ; il serait logique que La Trémoille, que l'on voit précédemment et par la suite être toujours dans le même camp que ses demi-frères, les ait accompagnés dans leur revirement[102]. C'est donc bien à l'un de ses propres partisans que Charles VII fit appel pour affaiblir Richemont après la mort de du Vernet.
 
La Trémoille, qui appartenait à une famille d'officiers royaux importants, avait d'abord été placé dans la maison de Bourgogne par son beau-père, le sire d'Albret[103], qui allait se faire tuer à Azincourt ; il épousa la veuve du duc de Berry, mais perdit dès 1416, semble-t-il, son office de chambellan du duc de Bourgogne : sa réputation est assez mauvaise dès cette époque : il faisait partie des jeunes délurés de la cour de Charles VI, était l'un des gardes du corps de la reine avec Louis de Bosredon qui fut exécuté dans des circonstances peu claires[104]. Puis il se brouilla avec sa femme, qu’il fit enfermer dans un de ses propres châteaux : lui aussi est accusé d’avoir assassiné sa femme pour épouser Catherine de L’Isle-Bouchard, dont il semble avoir été l’amant avant l’assassinat de Giac. Bourguignon en 1418, il avait capturé l'évêque de Clermont, alors que celui-ci tentait de s'échapper au massacre des Armagnacs à Paris. Il semble encore suffisamment bien en cour auprès du duc de Bourgogne entre 1423 et 1426, puisque c'est lui qui dirige l'ambassade envoyée au duc en décembre 1426, mais par la suite les chroniques nous indique que le duc ne voulait aucun bien à La Trémoille, sans que les raisons de cette aversion soient rapportées. C’est donc un homme au passé agité et à la réputation peu claire qui prend un poste très exposé ; mais on voit l’intérêt que Charles VII avait à se servir de lui : c’était un baron dont les alliances étaient hautes et étendues, qui en avait beaucoup fait et qui avait vraisemblablement beaucoup appris. Il était certainement d’une toute autre envergure que Giac et plus encore que Jean du Vernet. Toutefois, il paraît très exagéré de voir en lui un favori : La Trémoille servit de rempart contre Richemont ; une fois celui-ci venu à composition, La Trémoille n’avait plus d’utilité et le roi s’en débarrassa pour un chambellan sans doute plus malléable.
 
Fin juin 1427, Richemont et Yolande d'Aragon quittèrent la cour : le roi profita de leur absence pour reprendre les choses en main. Il alla faire une tournée en Poitou avec des hommes qui vont faire partie de son conseil pendant plusieurs années encore : le comte de Vendôme, qui faisait partie des fidèles depuis 1413 (il est maître de l'hôtel du roi depuis 1425), La Trémoille, Regnault de Chartres (archevêque de Reims), Robert de Rouvres (évêque de Séez), l'écossais John of Kirkmichael (évêque d'Orléans), Robert le Maçon, Raoul de Gaucourt. Le 18 août 1427, Richemont fit une dernière apparition auprès du roi à Issoudun. Si c'était pour une dernière négociation, elle échoua : le 31 août, les comtes de Clermont et Pardiac signaient un traité d'alliance qui engageait les comtes de la Marche et d'Armagnac, alliance évidemment dirigée contre le roi. Le maréchal de Séverac fut leur première victime : il fut arrêté, obligé de désigner le comte d'Armagnac comme son légataire universelle, puis étranglé : ses neveux, Béranger d'Arpajo et le comte de Lautrec, se retrouvèrent dès lors tout à fait logiquement dans le camp du roi.
 
Le 5 septembre 1427, La Hire et le Bâtard d'Orléans chassèrent les Anglais du siège de Montargis. Cette expédition était théoriquement commandée par Richemont, mais il n’intervint pas en personne, étant resté à Jargeau, et on a même l’impression qu’il tenta de freiner l’action, justifiant ses atermoiements par des défauts de paiement. Il avait probablement d'autres raisons : le 8, son frère le duc de Bretagne signait un traité avec les Anglais et reconnaissait le traité de Troyes. Ceux qui combattirent effectivement à Montargis sont des gens écartés en 1425 (le bâtard d’Orléans), ou qui rentraient de captivité (Raoul de Gaucourt) ; y prirent part également le seigneur d'Orval (Guillaume d'Albret), le seigneur de Quitry (Guillaume de Chaumont[105]) et Jean Malet, seigneur de Graville[106]. Presque au même moment, le capitaine du Mont-Saint-Michel, Louis d'Estouteville, défaisait une armée comprenant 2.000 Anglais et Ambroise de Loré détruisait une armée équivalente à Ambrières. Fin septembre 1427, Bedford tenta la conquête de l'Anjou : maladroitement, il cherchait ainsi à conquérir les territoires de l'alliée du frère de son nouvel allié, le duc de Bretagne : il n’eut guère de succès.
 
Richemont passa à l'opposition ouverte : il se dirigea sur Châtellerault (qui refusa de lui ouvrir ses portes) pour faire sa jonction avec les comtes de Clermont et de Pardiac, dans le but de s'emparer du Poitou avec l'aide de Jean de Brosse. Puis chacun, à l'approche de l'hiver, rentra chez soi, et Richemont alla prendre possession de Parthenay, que Louis de Guyenne lui avait attribuée 1415, mais qui avait été restituée à Jean Larchevêque. Une ultime tentative de conciliation semble avoir été tentée par le roi : Philippe de Coëtquis et Raoul de Gaucourt vinrent le voir en septembre, toujours sans résultat.
 
Le duc d'Alençon fut libéré à ce moment (le 13 novembre 1427 il était à Lusignan) : neveu du duc de Bretagne et de Richemont, il s'était taillé une belle figure de chevalier fidèle à sa parole en jetant à la face de Philippe le Bon qu'il ne trahirait jamais le roi, son légitime souverain[107]. Il fut utilisé par le roi pour négocier à Tours avec les conjurés : son interlocutrice dans le camp d'en face était Yolande d'Aragon. Si cela est vrai, le danger était réel : Richemont avait autour de Parthenay des alliés qui pouvaient l’aider à tenter la conquête de la Touraine, notamment le vicomte de Thouars, et une alliance entre Poitou et Anjou pouvait être inquiétante. En pratique, les conjurés manquaient de tout : légitimité, argent, chefs capables, et vraisemblablement, même de troupes.
 
 

Richemont, les Bourguignons et les Anglais - 1428

En janvier 1428 le duc de Richemont envoya des lettres à Lyon, Orléans, Tours et Albi, et au duc de Bretagne pour tenter d'obtenir de l'argent. Il ne semble pas que cela lui ait beaucoup rapporté : depuis des années Tours envoyait des réponses dilatoires à toutes les requêtes qu’on lui adressait, Orléans, inquiète de l’approche des Anglais, réarmait et se fortifiait en hâte, quant à Lyon, totalement acquise au roi et solidement tenue par le bailli Humbert de Grolée, il est peu vraisemblable qu’elle ait envoyé au connétable de quoi lutter contre Charles VII, quelque soit le prétexte avancé.
 
Le 10 février, Richemont gagna Chinon (qui faisait partie du douaire de sa femme, la comtesse de Guyenne) et tenta de prendre Tours. Au même moment, La Trémoille multipliait les cadeaux pour attirer du côté du roi les partisans de Richemont : René d'Anjou (pourtant sur le point de se reconnaître vassal du roi d'Angleterre), Jean de Blois, seigneur de Laigle (frère du comte de Penthièvre, ennemi du duc de Bretagne, qu'on avait abandonné au moment de se réconcilier avec le duc et qui s'était allié aux Anglais pour poursuivre sa querelle), Jean Stuart, le comte de Foix, toujours incertain, mais qui avait l'avantage d'être un ennemi héréditaire du comte d'Armagnac, qui est alors engagé à fond dans la révolte.
 
Le 1er mars, le roi, en compagnie de La Trémoille, de Guillaume d'Albret, demi-frère du précédent, Raoul de Gaucourt, Jean Harpedanne[108], Regnault de Chartres et Robert le Maçon, s'empara de Chinon sans coup férir. Le capitaine de la place, Guillaume Bellier, n'osa pas résister au roi présent en personne : pour le récompenser, il fut nommé maître de l'hôtel du roi, bailli de Troyes, tout en restant lieutenant de Raoul de Gaucourt pour la capitainerie de Chinon. Il fut même nommé bailli de Parthenay pour le roi : c'était évidemment une provocation à l'égard de Richemont. C'est à sa femme que Jeanne d'Arc fut confiée au moment de son séjour à Chinon. On peut penser qu'au moins un autre officier chinonais resta sur place : il s'agit du futur héraut de Jeanne d'Arc, Guyenne, qui porte évidemment le nom de la précédente maîtresse des lieux, Marguerite de Bourgogne, veuve du dauphin Louis de Guyenne, et que les textes du temps appellent généralement Madame de Guyenne.
 
Au mois de mai, la situation restait stable, mais inquiétante : Guillaume d'Albret, sire d'Orval, contre-attaqua les Anglais qui s'étaient emparés du Mans, mais il en fut chassé par Talbot qui prit même Laval. Selon Guillaume Gruel, qui place cet épisode en septembre 1427, Richemont aurait participé aux opérations : c'est peu probable car en septembre comme en mai 1428, Richemont semble plus occupé à tenter de s'emparer des places du roi qu'à lutter contre les nouveaux alliés de son frère. Richemont et d'Orval sont alors dans des camps opposés, quoique tous deux intéressés à porter secours aux Laval, mais pour des raisons différentes[109]. Pour contrer Richemont, le roi fit venir à Loches les troupes de Jean de la Roche[110], qui semble se rallier définitivement à lui, enfin il signe de nouvelles trêves avec le duc de Bourgogne (22 mai). Enfin, il envoie des ambassadeurs au roi de Castille pour lui proposer une alliance contre le duc de Bretagne. A cette date, le connétable paraît avoir été totalement court-circuité, tant dans ses rapports avec le duc de Bourgogne qu'avec le duc de Bretagne.
 
Les comtes de Clermont, de la Marche (le roi Jacques), de Pardiac (gendre du précédent et frère du comte d'Armagnac) et le maréchal Jean de Brosse reprirent alors l'offensive et s'emparèrent de Bourges, mais ne purent entrer dans la Grosse Tour, où le panetier du roi, Jean de Prie, se fit tuer en organisant la défense. Richemont n'ayant pu les rejoindre, son chemin (qui passait par l'Auvergne) étant barré par Jean de Laigle, ils se rendirent à Charles VII le 17 juillet. Le pardon du roi englobait également le comte d'Armagnac, mais Richemont en était exclu.
 
Ces opérations se déroulent alors même que le comte de Salisbury avait débarqué en France depuis le 24 juin. Dans ces circonstances, il est évidemment difficile de soutenir que La Trémoille est un traître et qu'il poursuivait une guerre personnelle contre Richemont : c'est évidemment Richemont qui a ouvert les hostilités, et qui les continue en luttant contre Jean de de Laigle, Jean de la Roche et d'autres capitaines. Charles VII est alors dans une situation d’autant plus délicate qu’au même moment le prince d’Orange envahissait le Dauphiné, mal défendu par le comte de Comminges, à la fidélité incertaine[111]. Tout à sa lutte contre Richemont et les Anglais, ce ne fut qu’en juin 1430 que Charles VII put envoyer Raoul de Gaucourt affronter le prince d’Orange, qui était assisté du duc de Savoie.
 
Le 17 juillet 1428 se refermait ainsi la parenthèse ouverte avec la défaite de Verneuil : quelques qu'aient été les efforts que le roi avait pu consentir pour se réconcilier avec le duc de Bretagne et le duc de Bourgogne, il n'avait rien obtenu ; le trésor avait été pillé au bénéfice des Bretagne et des Anjou, mais ceux-ci avait fini par se liguer contre le roi. Non seulement les Anglais n'avaient pas été chassés, mais au contraire ils assiégent Orléans à partir du 12 octobre. Avant de recommencer sa lutte contre eux, Charles VII dut remettre de l'ordre dans ses états, et surtout renflouer le trésor, vidé par sa belle-mère et par Richemont : des Etats Généraux se tinrent à Chinon à partir de la fin octobre et pendant 6 semaines. Charles VII est alors loin de festoyer dans Chinon, comme une légende postérieure le fera croire, et La Trémoille, s'il continue visiblement à distribuer largement le trésor royal, le fait cette fois au bénéfice du roi et non plus des Bretons et des Angevins. Ces derniers sont d'ailleurs punis des frasques de la reine Yolande : ainsi Charles VII fit-il supprimer en février 1429 les péages supplémentaires sur les bateaux de Loire que les capitaines du château d'Angers avaient imposés en 1428, sans doute pour avoir de l'argent frais pour lutter contre le roi[112].
 
Les effets de la mise à l'écart de Richemont ne furent pas immédiatement bénéfiques : durant l'hiver, encore, Richemont tenta de s'emparer de Sainte-Neomaye, tenue par Jean de la Roche. Le comte de Clermont, à peine rallié, se vit confier la mission de contre-attaquer les Anglais et il se fit battre au Rouvray ; plus exactement il n'attaqua pas, pendant que le sire d'Orval, Jean Stuart, le seigneur de Verduzan, Jean de Lesgo se faisaient tuer. Clermont rentra à Orléans, puis en repartit en emmenant toute l'armée royale : cette inertie suspecte, chez un personnage si fraîchement pardonné, ne contribua pas à le rendre plus sympathique à Charles VII : Clermont n'allait pas tarder à quitter la cour à nouveau.
 
La situation du roi est alors considérée par tous comme critique, peut-être à l'excès, la mort de Jean Stuart au Rouvray rappelant peut-être un peu trop le désastre de Verneuil ; mais s'il est peut-être exagéré de parler d'un projet de retrait de Charles VII en Ecosse ou en Espagne (rapporté seulement par des chroniqueurs tardifs, comme Sala et Basin), il semble bien qu'on envisagea un moment de retirer le Dauphin (qui est alors le futur Louis XI) en Dauphiné. Preuve que la situation de Charles VII paraissait vraiment critique à certains, le 13 avril 1429 René d'Anjou donnait pouvoir à son oncle le cardinal de Bar pour prêter serment de vassalité en son nom entre les mains de Bedford[113] : la belle-famille du roi est effectivement largement impliquée dans le camp de ses ennemis, et allait vraiment avoir fort à faire pour se faire pardonner. Par ailleurs, le siège d’Orléans, par sa longueur, par ses effectifs et par ses dates, pouvait faire penser aux sièges de Meaux et de Pontorson. Le siège de Meaux avait commencé le 6 octobre 1421 (12 octobre pour celui d’Orléans) et s’était terminé, le 10 mai, par la reddition de la ville ; le siège de Pontorson, commencé en janvier 1427, s'était traduit par la reddition de la ville le 8 mai. On peut comprendre que les Orléanais voyaient arriver la seconde semaine de mai avec quelque inquiétude.
 
 

Conclusions

 
Cette synthèse - qui n'a rien d'extraordinaire, tous les éléments étant à la disposition de tous depuis la publication des diverses chroniques et des deux premiers tomes de Du Fresne en 1882 – permet de tirer un certain nombre d'enseignements. Tout d'abord, au lieu d'un roi veule et désespéré, on est en présence d'un personnage combatif, luttant sur au moins trois fronts, quoique sa politique soit plombée par quelques brutalités initiales, et que l'indiscipline chronique de ses hommes d'armes – pour ne pas parler de l'hostilité déclarée de quelques uns de ses principaux vassaux - n'ait pas facilité la reconquête.
 
Toutes ces aventures montrent la présence d'un groupe territorial hostile – ou du moins ayant des intérêts ne coïncidant pas avec ceux du roi - comptant l'Auvergne, la Marche, le Bourbonnais et la basse Loire (Anjou et Bretagne). La Touraine et le Poitou, qui empêchait la jonction de ces adversaires, en acquéraient une importance stratégique ; or, la Touraine était elle-même au départ mal disposée envers Charles VII et manifestait des sympathies bourguignonnes. Mais en 1429, la Touraine avait été ramenée à l'obéissance par la force[114] ; toutefois l'attitude de l'Anjou reste pour le moins douteuse, malgré deux agressions anglaises. Le Massif Central fut peu à peu neutralisé, voire passa également au roi à la suite de la mésentente entre le duc de Bourgogne et le comte de Clermont, mais l'attitude de ce dernier resta toujours incertaine, tantôt hostile, tantôt amicale : le malheur était que le comte de Clermont, devenu duc de Bourbon, était apparemment l'un des seuls grands feudataires du royaume à posséder de réelles qualités de chef militaire. Or il fallait au moins un comte pour s'imposer face aux capitaines violents et peu disciplinés qui peuplent l'armée de Charles VII. Le comte d'Armagnac et son frère Pardiac restèrent hostiles, ou du moins trop compromis par leurs relations avec Richemont, mais leur situation excentrée les rendaient peu dangereux. Par la suite Pardiac sera fait gouverneur du dauphin Louis, sans doute pour l'amadouer, mais cela n'eut pas de conséquence bénéfique : le fils de Pardiac sera également hostile à Louis XI. Face à cela, les alliés sûrs de Charles VII ne sont pas trop nombreux : Beaucoup de ses premiers capitaines ont été tués à Verneuil : restent le comte de Vendôme, quoique frère du comte de la Marche : il ne montra pas de grandes qualités tactiques, bien qu'il ait contribué à la levée du siège de Compiègne mais, grand maître de l'hôtel du roi à partir de 1425, ne trahit jamais le roi. Les seigneurs Charles d'Albret et Guillaume d'Orval (un moment du côté de Richemont, notamment au moment de la mort de Giac) se rallient au roi en 1427 en même temps que leur demi-frère La Trémoille et font à partir de ce moment preuve d'une grande activité et d'un solide dévouement : Guillaume d'Orval se fera tuer au Rouvray à l'âge de 22 ans. D'autres capitaines, moins connus, sont pourtant des hommes de valeur et Charles VII s'appuiera constamment sur eux : ne citons que Théaude de Valpergue, homme apparemment d'une grande autorité, et qui fut mis systématiquement à contribution pour ramener l'ordre dans les territoires reconquis : Champagne, Normandie, Armagnac et Guyenne. Malheureusement pour sa mémoire, il s'agit d'un italien, et les historiens du XIXe siècle ne s'intéressèrent pas à lui : il fallut attendre 1979 pour que Louis Carolus-Barré lui consacre une communication[115].
 
Les Anjou restèrent à l'écart : ils ne figurent même pas au sacre de Reims, ni Louis III (certainement en Italie), ni René (quoiqu'il y soit mentionné par Chartier et Cousinot, mais il ne rejoignit le roi qu'à Provins le 2 août), ni le très jeune Charles d'Anjou (quoique Monstrelet affirme qu'il participa à la campagne du sacre)[116]. Néanmoins, lorsqu'en 1425 Charles VII fut obligé de se séparer de ses conseillers, on voit ceux-ci se réfugier en Provence : Louis III, peut-être trop occupé en Italie, n'est visiblement pas hostile au roi et ne rentra pas dans la coalition montée par les Bourguignons et les Bretons avec la bienveillance de sa mère. Face à une mauvaise volonté évidente ou à l'absence d'une majorité de princes, Charles VII s'est appuyé sur des nobles de moindre importance, d'abord pour assurer sa propre sécurité, ensuite parce qu'en tant que roi il pouvait avoir auprès d'eux un prestige qui n'impressionnait pas les grands feudataires. Ce calcul était loin d'être mauvais : en débauchant joyeusement les meilleurs officiers des ses adversaires, voire de ses alliés éphémères, Charles VII les privait de leurs moyens d'action et s'en donnait de nouveaux. Ainsi en est-il de Christophe d'Harcourt, partisan de Richemont : le roi l’attira à lui et le garda comme chef de ses gardes quand il se débarrassa du connétable. De la même manière, il avait acquis en 1418 la fidélité de Charles Labbé, capitaine de Tours pour le compte du duc de Bourgogne, en lui faisant don de la seigneurie de Montreuil-Bonnin[117]. Le bénéfice de cette négociation – peu honorable selon les mœurs du moment – était évident. La liste des "convertis" serait immense, et fastidieuse ; rappelons seulement les noms de Giac, Bellier, La Trémoille, Loré.
 
La différence de traitement réservée à Richemont et à Charles VII dans l'historiographie récente est très frappante, peut-être parce que le premier eut une vieillesse austère et que le second la consacra plutôt à ses maîtresses. Mais ces deux hommes sensiblement contemporains eurent une jeunesse bien différente : le roi se consacrait à la reconquête de son royaume, le jeune Richemont s'était surtout engagé pour faire pencher son frère du côté de l'alliance anglaise. Devenu connétable, il allait passer les années suivantes à tenter de se transformer en une sorte de principal ministre, faisant assassiner tous ceux qui se dressaient sur sa route, jusqu'à provoquer une nouvelle guerre civile. Quoiqu'on ait pu dire sur le futur admirable connétable, ses débuts militaires se soldèrent par une série de défaites, d'occasions manquées, voire sabotées, et il fit plus de mal aux officiers de Charles VII qu'aux Anglais, jusqu'à ce que Charles VII le chasse et lui fasse la guerre. La chance historiographique de Richemont, c'est que son adversaire fut alors Georges de La Trémoille, dont la réputation est des plus sulfureuses, et que Charles VII, qui avait l'habitude de récupérer ses ennemis pour en faire des instruments, même incommodes, accepta de le reprendre. La chronologie du retour en grâce de Richemont, du moins telle qu'elle est rapportée par Gruel, est éclairante : après son intervention à Patay, Richemont tenta pendant l'hiver 1430 de reprendre Fresnay le vicomte (dans le Maine) sur les Anglais. Toujours apparemment aussi peu doué pour les opérations militaires, il échoua. Incorrigible, il semble avoir alors tenté de reprendre sa place à la cour par la force : jusqu'au 5 mars 1432, il fut pratiquement toujours en guerre contre La Trémoille et son demi-frère, le seigneur d'Albret, entre la Rochelle, Châtelaillon, Fontenay, Gençay. Il se maintint parce qu'il espérait bénéficier des alliances du duc de Bretagne avec les Angevins[118], les Anglais[119], les Bourguignons[120], et même Alençon[121]. Cela restait du domaine du fantasme, car la réalité était moins brillante : Alençon enleva le chancelier de Malestroit en septembre 1431 pour obtenir de Jean V la dot de sa mère, Châtellaillon et Fontenay furent enlevées à Richemont, et une nouvelle attaque risquait d'être plus coûteuse encore : néanmoins, la menace d'une alliance hostile sur la basse Loire restait préoccupante. Finalement, Richemont signa un traité de paix avec le roi, le 5 mars 1432, à Rennes[122]. Ses domaines furent encore attaqués en juin 1432 par un des frères de la Hire, mais peut-être s'agissait-il là d'une affaire personnelle ou d'un pillage de circonstance : Richemont semblait cette fois avoir compris qui était le maître. La soumission de Richemont allait entraîner la chute du chambellan : c'était quand même le connétable qui était le mieux à même lever l'hypothèque avec les Angevins, et de négocier la paix avec son frère le duc de Bretagne et son beau-frère le duc de Bourgogne. Les chroniqueurs ne s'y sont cette fois pas trompés, qui signalent tous que La Trémoille considérait que le retour de Richemont causerait sa perte, mais il fallait que Richemont reviennent soumis et obéissant.
 
Entre la fin du mois de juin et le 10 juillet 1433, La Trémoille fut chassé de la cour. La chose a souvent été présentée, et notamment par Jean du Bueil, qui y prit part, comme un coup de force auquel Charles VII se serait soumis. La présence de partisans de Richemont (Pierre d'Amboise, Jean de Rosnevinen) parmi les conjurés qui s'emparèrent du chambellan a fait que cette affirmation a souvent été admise sans discussion. Toutefois, l'affaire semble être avant tout dirigée par des Angevins (Charles d'Anjou, Raoul de Gaucourt, Jean de Bueil), mais aussi des hommes de Charles VII (Guillaume de Chaumont-Quitry, qui était au roi depuis 1427 et son lieutenant Olivier Frétart[123]) et ne semblait pas devoir déboucher sur l'élimination de La Trémoille. La Trémoille fut blessé dans l'affaire par Rosnevinen[124], qui était au service de Richemont, et qui semble avoir profité de l'agitation pour tenter de poignarder le chambellan. D'où peut-être la colère du roi qu'il fallut "radoucir", selon l'expression de Bueil. Gruel, pour sa part, prétend que le roi fut d'abord effrayé, puis "tout content" ; on sait maintenant ce qu'il faut penser du contentement du roi rapporté par Gruel. La présence de la garde écossaise, qui aurait pu intervenir pour contrer les conjurés, implique que ce n'est pas l'action en elle-même qui choquait le roi, auquel cas Bueil et les autres auraient été rapidement arrêtés, mais seulement un de ses éléments : c'est bien le roi qui s'est débarrassé de son ancien chambellan, même si Jean du Bueil, qui n'est pas une grande tête politique, n'en a pas compris tous les arrières-plans. Charles VII conserva à La Trémoille ses émoluments, mais lui aurait interdit de reparaître à la cour. La réalité est peut-être moins brutale encore : les sources mentionnent que Gilles de Rais aurait failli perdre son rang de maréchal en 1433 parce qu'il n'avait pas réussi à convaincre son cousin La Trémoille de participer aux opérations militaires : La Trémoille était peut-être parti tout simplement bouder dans son château[125]. Sa place fut prise par Charles d'Anjou, pour lequel Charles VII semble avoir ressenti une affection toute paternelle, et qui était bien plus jeune que son prédécesseur et sans doute bien plus malléable et bien moins puissant : il n'avait pas de domaine propre, et le Maine, qui lui sera attribué, est alors occupé par les Anglais.
Avec Charles d'Anjou arrive au pouvoir une nouvelle équipe, composée d'hommes jeunes, nouveaux, apparemment moins compromis dans les alliances aristocratiques que les précédents : ce n'est pas seulement La Trémoille qui part, même si les vieux de la vieille sont encore là, fidèles au poste : Regnault de Chartres et Robert le Maçon. Il ne faut d'ailleurs pas forcément voir là une "revanche" des Anjou, mais plutôt un renouvellement décennal : l'équipe qui arrive au pouvoir en 1433 sera elle-même largement renouvelée en 1444, avec l'arrivée de Pierre de Brézé sur le devant de la scène.
 
Richemont revint à la cour, mais il ne fut plus question de mettre le roi en tutelle ; même, au moment de la Praguerie, il se fit remarquer par sa fidélité sans défaut, et Charles VII lui en sut gré. Mais il ne fit toujours pas preuve de grandes qualités militaires : il vint à la rescousse de Sillé-le-Guillaume en mars 1434[126], mais finit par l'abandonner aux Anglais. Néanmoins, il fut envoyé en Champagne où il put reprendre contact avec le duc de Bourgogne et préparer la paix d'Arras. En 1438 il se fit encore souffler le château de Saint-Germain en Laye, par dix Anglais seulement : Perceval de Cagny n'a alors pas de mots assez durs pour lui, et souligne qu'il mettait dans les châteaux qui lui étaient confiées des garnisons insuffisantes en nombre et en valeur, pourvu qu'elles fussent bretonnes[127]. Charles VII lui confia ensuite la mission de mettre sur pied les compagnies d'ordonnance, première armée de métier française (si on excepte une première tentative faite sous Charles V), tâche que pour une fois le connétable mena à bien.
 
On peut trouver surprenante la différence de traitement dans l'historiographie entre Richemont et La Trémoille : on a ainsi fait grief à La Trémoille d'être le frère du chambellan du duc de Bourgogne, argument universellement avancé comme preuve de sa trahison. A s’en tenir aux seuls liens familiaux, Richemont est trois fois plus suspect que La Trémoille, et à un tout autre niveau, mais personne n’a semble-t-il souligné cette circonstance ni ne l’a considérée comme un élément douteux. On lit parfois qu’il aurait appris à détester les Anglais pendant sa captivité en Angleterre, sans qu’il soit nulle part mentionné que cette captivité, il la passa en fait chez sa mère, veuve du roi Henri IV. A l’inverse, on passe sous silence le fait qu'un cousin de La Trémoille, le comte de Joigny, avait interdit à ses vassaux de jurer le traité de Troyes : le clan La Trémoille étaient peut-être Bourguignon, mais pas favorable aux Anglais, contrairement à Richemont. Nommé par le roi alors qu’il en avait le plus grand besoin, Richemont fut maintenu jusqu’à ce qu’il ait fait la preuve de son incompétence militaire et surtout de son inutilité diplomatique. Pourtant le roi le supportait difficilement et ne semblait même pas cacher la répulsion qu’il lui inspirait, à la suite des meurtres de Giac et de Le Camus, auxquels on pourrait ajouter celui du maréchal de Séverac, commis par son complice le comte de Pardiac. Mais Richemont ne réussit pas à maintenir Charles VII en sujétion, même s’il semble bien que cela ait été le but poursuivi. Richemont ne s'embarrassait d'ailleurs pas de scrupules sur les moyens à utiliser : en 1426 il semble avoir pensé s'emparer du Dauphin, qui avait alors trois ans, pour s'assurer de la soumission de Charles VII[128].
 
Toutefois, ne faisons pas de Richemont un traître : dans son optique, c'était probablement Charles VII qui était fou : l'assassinat du duc de Bourgogne, qu'il avait commandité, puis l'enlèvement du duc de Bretagne ne correspondaient pas aux idées d'un roi pardonnant à toutes les offenses, qui sont celles de l'époque. Dans l'optique de Richemont, il faut ramener la concorde entre les princes par des compensations suffisantes, faire entrer les plus grands feudataires au conseil du roi, et enfin, la paix étant revenue entre les Français, chasser les Anglais de France. Il va sans dire que cette vision idyllique d'une grande aristocratie luttant réconciliée et sans arrière-pensée pour le salut du royaume était d'une grande naïveté : c'était le rêve du retour au bon temps du roi saint Louis, que les Bourguignons vantaient depuis le temps de l'ordonnance cabochienne. Le duc de Bourgogne, qui avait d'autres objectifs politiques, fit capoter les rêves de Richemont, et en 1440, la grande aristocratie ayant montré lors de la Praguerie quelle était l'étendue réelle de sa philanthropie, Charles VII fit revenir ses anciens conseillers. Ce fait permet de le dédouaner en partie de l'accusation d'ingratitude portée par Basin : les conseillers qui l'avaient entouré dans sa jeunesse furent toujours bien traités, même après leur renvoi en 1425 : Jean d'Orléans, Regnault de Chartres, Hardouin de Maillé, Robert Le Maçon reprirent leur place dès 1427, et les plus compromis dans le meurtre du duc de Bourgogne - Guillaume d'Avaugour et du Chastel - revinrent à la cour en 1440, après la Praguerie. Même Louvet, que tous désignaient comme ayant été l'instigateur de l'assassinat du duc de Bourgogne, avait été rappelé, non seulement dès 1437, mais encore à l'occasion du siège de Montereau, où avait eu lieu le crime. Sa présence dut être un véritable camouflet pour le duc de Bourgogne, et il serait intéressant de vérifier si ce genre d'avanies n'a pas contribué au déclenchement de la Praguerie. De toute manière, ce serait s'abuser que de chercher dans Charles VII les vertus d'un saint Louis : qu'il ait renvoyé un certain nombre de ses conseillers et qu'il ait fait un mauvais parti à quelques-uns est indubitable, mais c'était peut-être mérité. S'il a fini par l'emporter sur ses adversaires, en effet, c'est qu'il avait débauché leurs meilleurs éléments, ce qui ne veut pas dire qu'il s'agissait des plus vertueux : Chabannes, prince des écorcheurs, et Gilles de Rais, tueur de petits garçons, font partie d'une bande où tous les moyens sont bons pour chasser les Anglais – tous – et Charles VII est leur chef. Alors, on peut imaginer un Charles VII aigri, impitoyable, misanthrope et ricaneur, fils d'un père qu'il n'aima pas et père d'un fils qu'il n'aima pas non plus, entouré d'une clique de soudards sanguinaires et de vassaux félons : tout cela serait compatible avec ses succès, mais pas l'indolence.
 
Remarquons également que le reproche, souvent fait à Charles VII, de préférer la négociation tortueuse à la guerre ouverte est injustifié : le roi avait commencé à reconquérir son royaume les armes à la main, et ce n'est qu'après le désastre de Verneuil qu'il commença à négocier avec le duc de Bretagne, le comte de Foix et le duc de Bourgogne. De même, ce n'est qu'après la défaite de Bulgnéville qu'il acceptera les conditions du duc de Bourgogne pour se réconcilier avec lui. Loin de préférer la négociation, Charles VII a préféré la guerre chaque fois qu'il était en position de force, et ce n'est qu'en position de faiblesse qu'il acceptait de négocier avec ses adversaires les plus puissants, ce qui n'est d'ailleurs sans doute pas la meilleure façon de procéder. Certaines chroniques, là encore, sont incohérentes : Perceval de Cagny n'a pas de mot assez durs, en 1438, pour fustiger la mollesse du roi, qui ne pense plus à la guerre, dit-il ; l'année précédente a vu la prise de Montereau, l'année 1438 elle-même s'achève sur la reprise de Montargis, Dreux et Pontoise, obtenue cette fois par négociation, et l'année suivante verra les débuts de la Praguerie. Les finances royales ne sont pas encore en mesure de permettre une guerre continue, mais cela n'empêche pas les sujets du roi, et on les comprend, de trouver que la guerre dure trop longtemps et coûte trop cher, mais ils ne sont pas toujours aux courant des négociations en cours et ne sont pas forcément non plus de très bonne foi.
 
Il paraît également nécessaire de reconsidérer l'affection qui pouvait régner entre Charles VII et sa belle-mère, Yolande d'Aragon. On a vu que les fils aînés de la maison d'Anjou menaient une politique personnelle en Italie et en Lorraine au moment où leur aide aurait été des plus précieuses en France. On a vu que Yolande d'Aragon s'était faite l'ambassadrice opiniâtre de Richemont et qu'elle avait participé avec lui au pillage du trésor royal et à la tentative de s'emparer de Bourges. Dans ces conditions, il paraît exagéré de faire de la douairière d'Anjou le bon ange de Charles VII. On se fourvoierait certainement en imaginant que la mission de vérifier la virginité de Jeanne d'Arc était une grande marque d'affection royale : que Charles VII ait ordonné à sa belle-mère, fille du roi d'Aragon et mère du roi de Sicile, d'aller fourrer son nez dans l'entrecuisse d'une paysanne inconnue pour vérifier l'état de son pucelage pouvait surtout constituer une cuisante humiliation. Ne comparons pas cet examen avec celui qu'effectua la duchesse de Bedford en 1431 : Jeanne d'Arc était alors la puissante ennemie des Anglais, qui avait mené son roi au sacre et à Paris et que Bedford avait acheté fort cher ; en mars 1429, elle n'était rien d'autre qu'une fille inconnue habillée en dépit du bon sens, et qu'on pouvait réputer folle, sorcière ou hérétique.
 
 
 
Outre ces conclusions historiques, la méconnaissance quasi absolue de la période qui précède immédiatement l'arrivée de Jeanne d'Arc à la cour de Chinon pose un intéressant jalon dans l'historiographie de Jeanne d'Arc : en effet, la cause n'en est pas l'absence de documentation, disponible dès le début du XXe siècle, mais une absence de recherche. Pour comprendre la raison de cette absence, il me paraît tout à fait nécessaire de relire l'article que M. Gerd Krumeich avait écrit dans le Bulletin du Centre Jeanne d'Arc sur la controverse historiographique à propos de la mission de Jeanne d'Arc : M. Krumeich soulignait que le problème posé par Jeanne d'Arc, dans les "Histoires" d'Ancien Régime, était qu'elle était présentée comme une preuve d'un miracle divin en faveur de la France, mais qu'il fallait expliquer pourquoi Jeanne avait été abandonnée par Dieu et livrée aux Anglais. La réponse, initiée en partie par Regnaud de Chartres et utilisée jusqu'en 1850, était que pour une raison ou une autre (orgueil, dépassement de la mission divine, faiblesse coupable pour Lyonel, le fils de Talbot), Dieu avait cessé de soutenir Jeanne, et que le bûcher permettait à la foi de racheter en une fois les fautes de Jeanne, mais aussi de la transfigurer – pratiquement de la transmuter – mais pas en sainte.
 
Mais les temps changent : Sous la plume des auteurs de la nouvelle école positiviste, qui commence à faire parler d'elle dans les années 1830, le problème de Jeanne d'Arc n'est plus d'avoir été abandonnée par Dieu, mais d'avoir été abandonnée par le roi ; ce n'est d'ailleurs plus un problème, mais un reproche, et ce n'est pas non plus totalement une nouveauté : dès le milieu du XVIIIe siècle, le fossé se creuse entre le roi et la Nation. C'est en sauveuse de la patrie que Jeanne fera carrière à partir de 1729, et notamment à la suite du Poeme françois et cantique latin sur la délivrance d'Orléans par Jeanne d'Arc, publié par Michel Perdoulx de la Perrière à Orléans. La patrie avait déjà été brièvement évoquée au XVIe siècle par Guillaume Postel et Jean de Serres, mais les auteurs du temps ne séparaient par le roi, la patrie et la France ; à partir du début du XVIIIe siècle, il les distinguèrent de plus en plus. En même temps, ils identifiaient de plus en plus la Patrie et la France avec le peuple. C'est à ce moment que nous voyons l'image de Charles VII se dégrader sous la plume des auteurs qui règlent ainsi leurs problèmes avec Louis XV ou Louis XVI. Ajoutons que le début du XVIIIe siècle voit une réticence curieusement généralisée devant les miracles divins et nous comprenons le passage de Jeanne d'Arc à une nouvelle fonction : dans un monde moins chrétien et plus centralisé que le XVe siècle, le moteur de l'histoire n'est plus Dieu ; c'est le roi. Le conflit entre les deux conceptions – Jeanne abandonnée par Dieu ou par le roi – fut une dernière fois réactivé au moment de la restauration : Jeanne redevient un enjeu politique sensible entre 1830 et 1840, période durant laquelle, par exemple, on cesse de prononcer des panégyriques à sa gloire lors des fêtes d'Orléans.
 
Ce sont Michelet et Jules Quicherat qui emporteront la mise, surtout Quicherat qui publie la chronique de Perceval de Cagny, que l'Ancien Régime avait maintenue sous le boisseau. Que les reproches portés par le duc d'Alençon – dont Cagny était le chroniqueur – soient outrés, qu'ils rejettent sur le roi les fautes dont d'Alençon était lui même accusé (lâcheté, incapacité et trahison), et que d'Alençon ait lui même contribué, par ses erreurs au retard de la reconquête du royaume ne fut pas pris en compte par Quicherat qui disposait ainsi d'une preuve tangible, écrite noir sur blanc, de la faute royale, et au-delà, du caractère fondamentalement vicié de la royauté. Gerd Krumeich souligne que la publication de la Chronique de Cagny fut énergiquement utilisée par des historiens républicains tels que Henri Martin, Lachâtre ou Eugène Sue. Mais de façon apparemment paradoxale, c'est le procès de canonisation qui fixa la réputation de Charles VII, et marqua la défaite des historiens royalistes : lorsque le promoteur de la cause s'inquiéta de ce que la mission de Jeanne d'Arc ne fut pas menée à son terme, on lui répondit qu'elle fut interrompue "par les conseils qui prévalurent auprès du roi". C'est ainsi que se fit l'accord entre la tradition républicaine et la tradition catholique, le patriotisme et le catholicisme (que Martin Lefranc distinguait soigneusement) et que furent fixées les responsabilités : un roi faible, un conseiller traître (La Trémoille), une église trop savante et trop éloignée de Dieu (Pierre Cauchon et les scolastiques)[129]. La septième réédition de L'histoire de France de Keller représente le dernier feu des historiens royalistes, puis ce fut la capitulation en rase campagne : le 27 janvier 1894 le Pape Léon XIII signait le décret intitulé "De l’introduction de la cause", la première étape du procès de canonisation. La dernière étape, la canonisation proprement dite, le 16 mai 1920, fut le symbole de la réconciliation d'une Eglise "sociale", et d'une République laïcisée : en décembre 1926, l'Action Française, menée par le royaliste Maurras, était même condamnée par le pape.
 
A cet accord, il y avait une condition, non prononcée mais nécessaire : ne pas approfondir les arrières-plans de l'arrivée de Jeanne d'Arc, qui doit apparaître comme une Dea ex machina pour débrouiller une situation d'autant plus inextricable qu'elle n'est pas étudiée. On se contente donc, depuis un siècle, de répéter les même antiennes : folle prodigalité du roi, sans qu'aucune étude sérieuse ait été menée sur ses finances et sur les officiers qui en étaient responsables ; invincibilité des Anglais, sans qu'ici non plus la moindre étude ait été faite sur le financement, ou plutôt l'absence de financement, de leur guerre. On va même répétant encore qu'ils cherchaient à s'emparer d'un pont sur la Loire pour attaquer le royaume de Bourges, sans penser une seconde qu'ils en avaient déjà deux en leur possession, à Beaugency et à Jargeau, sans parler de celui tenu par leur allié Perrinet Gressart à la Charité. La composition exacte de la cour de France en 1429 est également absolument ignorée, chacun allant répétant que Charles VII était entouré de ses favoris, sans aller chercher qui est chambellan, grand chambellan ou grand écuyer : je l'ai fait aussi, mea culpa. La recherche historique s'est arrêtée en 1422, sauf exceptions ponctuelles, et ne reprend pas avant 1431, et peut-être même pas avant 1461. Ce n'est pas un hasard, et je citerai une anecdote significative à ce propos : suivant à la Sorbonne – il y a 25 ans déjà - les cours de licence d'histoire de M. Dubois sur le Moyen Age tardif, nous nous étions entendus dire que le programme s'arrêterait en 1422 : "parce qu'après, il y Charles VII, et qu'avec Charles VII, il y a Jeanne d'Arc, et que Jeanne d'Arc, c'est trop dangereux". Je n'avais pas compris pourquoi, alors, mais je sais maintenant que l'affaire Thalamas était passée par là, pétrifiant toute velléité de recherche. Avis donc aux étudiants en quête de thèse : il y a 10 ans d'économie de guerre et de prosopographie de cour qui n'ont pas été étudiées depuis un siècle – avec sans doute bien des polémiques à la clé - et le premier qui élucidera le rôle de Mathelin Raoul, "clerc de la Pucelle", aura gagné.
 
 


[1] Philippe CONTAMINE, "Un acteur du sacre de Charles VII : Georges de la Tremoille", Travaux de l'académie nationale de Reims 1841-1991 : L'histoire de Reims en question, 1991, p. 197-211
[2] Philippe CONTAMINE, "L'action et la personne de Jeanne d'Arc : remarques sur l'attitude des princes français à son égard", Bulletin de la Société historique de Compiègne, t. 28, 1982, Actes du colloque Jeanne d'Arc, p. 63-80.
[3] Chassé de Naples par sa femme, qui adoptera Louis d'Anjou, Jacques de Bourbon deviendra par la suite roi de Hongrie. Les sources l'appellent le roi Jacques, et il ne faut pas le confondre avec Jacques de Bourbon, seigneur de Préaulx, tué en octobre 1422 dans l'effondrement du plancher du château de la Rochelle.
[4] Né en 1414, il est évidemment incapable d'intervenir dans ces années critiques : sa présence au sacre de Charles VII n'est même pas certaine.
[5] Charles de Clermont était le fils de Jean Ier duc de Bourbon, prisonnier en Angleterre, et de Marie de Berry. Il administra le duché à partir du 22 juillet 1427.
[6] Le personnage est peu connu mais ne doit pas être confondu avec Louis de Poitiers, seigneur de Saint-Vallier et de Chalençon. S'appuyant sur une référence à André du Chesne, le père Anselme, dans son Histoire généalogique et chronologique de la maison royale de France, Paris, 1726, ne le connaissait pas et donnait comme immédiat prédécesseur à La Trémoille Jean de Montmorency, ce qui n’est peut-être pas impossible mais fut vigoureusement combattu par Du Fresne de Beaucourt, Histoire de Charles VII, t. II, Paris, 1882, p. 567.
[7] Jean Louvet, chevalier, seigneur de Mérindol à partir de 1420, appelé le président de Provence car il était président de la chambre des comptes d'Aix, était né vers 1370. D'abord conseiller de Louis d'Anjou, il semble passer, à sa mort, au service du Dauphin. Durant son exil en Avignon, il semble rester très informé de ce qui se passe à la cour, peut-être par son gendre, le bâtard d'Orléans, et négociera avec le duc de Savoie, en 1436, un mariage entre Charles d'Orléans et la plus jeune fille d'Amédée VIII, veuve de Louis III d'Anjou. Le mariage ne se fit pas.
[8] On note parfois des méprises entre les frères d'Albret : Charles II d'Albret, fils du connétable Charles Ier d'Albret qui avait été tué à Azincourt, joua à Reims le rôle du connétable à la place de Richemont : il est dans les sources appelé le seigneur d'Albret, ou de Lebret. Son frère cadet, Guillaume d'Albret, seigneur d'Orval, fut tué à la bataille des Harengs. Son titre de seigneur d'Orval fut alors repris par son frère aîné, ce qui induit des confusions.
[9] Il avait épousé Jeanne d’Albret, la demi-sœur de La Trémoille par leur mère Marie de Sully.
[10] D’Albret et Giron sont cités également par le Héraut Berry.
[11] Du FRESNE de BEAUCOURT, Histoire de Charles VII, tome II, p. 67, note : l'esclandre eut lieu à Poitiers en présence du roi ; Frotier apostropha le sergent royal Jean de Muy, lui promettant qu'il le ferait "mourir mauvaisement et mangier aux chiens".
[12] Le procès de Louis d'Amboise en 1431 lui attribue ce rôle : d'Amboise et ses complices avaient projeté d'enlever le roi, mais selon lui le principal obstacle à la réussite de son entreprise était la présence de La Trémoille (Pierre CHAMPION, "Le complot de Louis d'Amboise, d'André de Beaumont et d'Antoine de Vivonne", Notes sur Jeanne d'Arc IV-V, Paris, 1910, p. 8-25).
[13] Du FRESNE de BEAUCOURT, Op. cit., t. II, p. 122-123.
[14] Gustave DUPONT-FERRIER, Gallia Regia ou état des officiers royaux des bailliages et des sénéchaussées de 1328 à 1515, Paris, 1952-1961, 6 vol.
[15] Jean de Langeac, seigneur de Brassac, fut châtelain et viguier de Beaucaire de 1414 à 1416. Il restera sénéchal d'Auvergne jusqu'en 1453 (Gallia Regia, t. I, p. 175).
[16] Evêque de Nantes et chancelier de Bretagne.
[17] Dans le tome II, la période 1422-1429 est analysée sous trois angles différents : les trois premiers chapitres sont un rappel événementiel, le chapitre 4 envisage la conduite morale de Charles VII, les chapitres 7 et 8 la diplomatie et le chapitre 13 l'administration. Le résultat de cette dispersion est que l'ambassade envoyée par Richemont au duc de Bourgogne le 25 décembre 1425 est citée à la page 371, et celle constituée par La Trémoille, envoyée au même moment au même duc est mentionnée à la page 128. L'hypothèse que ces députations aient le même but et soient probablement concertées ne semble pas effleurer Du Fresne de Beaucourt.
[18] Georges MINOIS, Charles VII, un roi shakespearien, Paris, 2005.
[19] Il s'agit des quolibets lancés par la garnison d'Azay : "voici le demeurant des petits pâtés de Paris". L'allusion à la bâtardise me paraît extrêmement subliminale ; j'y vois plutôt une référence brutale au massacre des Armagnacs à Paris, cinq mois plus tôt : "voici les survivants de ceux qui ont été mis en chair à pâté à Paris". La garnison d'Azay fut massacrée.
[20] VALLET de VIRIVILLE éd., Chronique de la Pucelle ou de Cousinot, Paris, 1859, p. 327.
[21] Siméon LUCE, "Le trésor anglais à Paris en 1431 et le procès de Jeanne d'Arc", Mémoire de la Société d'Histoire de Paris et de l'Ile de France, tome V, 1878, p. 299-307.
[22] D'après le Dictionnaire de l'ancienne langue française de Godefroy. Dès le XVIe siècle, Nation aura le sens de province d'origine, et la naissance, au sens de groupe social d'origine, sera désignée par le néologisme Naissement (d'après le Dictionnaire de la langue française du XVIe siècle de Huguet).
[23] Bib. Arsenal ms. 3121, fol. 106.
[24] Françoise AUTRAND, Charles VI, Paris, 1986, p. 590.
[25] Ce qu'il ne faut pas non plus exagérer : bien des familles authentiquement anglaises portent le nom de leur ancêtre normand.
[26] Ces princes renâclent devant la lourdeur du pouvoir royal mais ne sont pas toujours prêts à tout pour s'en libérer : Louis de Chalon, comte de Genève et prince d’Orange, était à la fois un fidèle des ducs de Bourgogne et de Savoie et un adversaire redoutable de Charles VII, encore que pas toujours efficace. Il avait toutefois refusé de la manière la plus froide et la plus expéditive de reconnaître le traité de Troyes : il avait quitté la cour. Pour lui, les Anglais restaient "l'ennemi ancien et capital".
[27] Le mariage de Jacqueline de Bavière-Hainaut avec Jean de Touraine était d’ailleurs dans la continuité du mariage d’Isabeau de Bavière avec Charles VI, voulu par Jeanne de Brabant, arrière grande-tante d’Isabeau, qui cherchait ainsi à assurer la paix dans ses états. Ce mariage allait lui-même entraîner les Valois à entrer en contact avec les Visconti, auxquels les Wittelsbach de Bavière étaient déjà alliés. Cette politique d’alliance était destinée à faciliter l’expansion française dans les Pays-Bas, politique dont les bénéfices iront finalement aux seuls Bourguignons (F. AUTRAND, Charles VI, Op. cit., p. 148-152), mais la Savoie et la Suisse avaient dès ce moment tout à perdre d’une alliance trop étroite entre la France, la Bavière et le Milanais.
[28] Louis d'Anjou, avant de supplanter le duc de Bourgogne au conseil, s'était initialement allié avec lui en 1411 contre les fils du duc d'Orléans (Chroniques de Monstrelet).
[29] Au prix, toutefois, d'une confiscation des terres du connétable de Bourbon après sa trahison ; néanmoins Louise de Savoie était une héritière potentielle.
[30] F. AUTRAND, Charles VI, Op. cit., p. 377.
[31] L'avènement de Charles VI avait été marqué par la révolte de la Flandre, et il était en route pour affronter le duc de Bretagne quand il devint fou.
[32] Exception faite de Monstrelet, qui mentionne que lors d'un entretien entre Marie d'Anjou et Isabelle Portugal, les deux femmes se plaignirent l'une l'autre de leurs déboires conjugaux et du nombre de bâtards engendrés par leur mari.
[33] La liste en est donnée par la Gallia Regia.
[34] C'est sur une scène de ce genre que démarre l'intrigue de Roméo et Juliette, de Shakespeare.
[35] A propos des exigences qui sous-tendent les intérêts parfois contradictoires des justiciables et de la justice, cf. Les rites de la justice. Gestes et rituels judiciaires au Moyen Age occidental, sous la direction de Claude Gauvard et Robert Jacob, Paris, 2000.
[36] Il avait été investi de cette charge dès octobre 1418, et avait réussi à chasser de Languedoc le prince d’Orange, qui tentait de s’en emparer pour le duc de Bourgogne.
[37] Gallia Regia, t. III, p. 482
[38] La date est incertaine, toujours en raison toujours de la chronologie parfois inversée de certaines chroniques, et l'enlèvement a pu intervenir deux ans plus tard : il paraît en effet un peu surprenant que Louis d'Amboise ait pu capturer La Trémoille puis se rendre sans dommage à Orléans. Il semble que le complot contre La Trémoille ait été décidé un peu avant le siège d'Orléans, mais n'ait pas reçu de commencement d'exécution avant 1430.
[39] Richemont est désigné par André de Beaumont, qui semble être le chef du complot ; l'acte d'accusation, rédigé au nom de Charles VII, en parle comme "un de noz officiers, de grand autorité". La Trémoille, dans ce témoignage, se taille une figure de rempart du roi contre les attentats, puisque André de Beaumont décide de le capturer ou de le tuer avant toute tentative contre le roi.
[40] André de Vivonne aurait été sénéchal de Poitou et aurait été remplacé par Pierre Frotier. Dans la Gallia Regia, on ne trouve mention ni de l’un ni de l’autre, mais la chose n’est pas invraisemblable, les séries de la Gallia Regia n'étant pas toujours complètes. Toutefois on trouve un Arnaud de Vivonne, seigneur de Thors et des Essars, signalé comme "capitaine souverain et lieutenant du roi en Poitou" en 1389. il s’agit peut-être du père d’André.
[41] On a vu que la liste des grands officiers de Poitou était incomplète, surtout entre 1416 et 1441. A ce moment, c’est un certain Louis de Beaumont qui est lieutenant du roi en Poitou. Il semble bien que Richemont ait réussi à trouver des partisans en Poitou et en Basse-Loire, mais il s’agit là de conjurés de bien moindre volée que ceux avec qui Richemont avait pu négocier en 1427, et plus encore en 1426.
[42] La condamnation de Louis d'Amboise et de ses complices, ainsi que l'accord qui est passé ensuite entre lui et le roi sont édités par Pierre CHAMPION, "Le complot de Louis d'Amboise, d'André de Beaumont et d'Antoine de Vivonne", Notes sur Jeanne d'Arc V, 1910.
[43] La généalogie de la famille de La Trémoille – peut-être à vérifier – est donnée par Louis de SAINTE-MARTHE (historiographe royal), Histoire généalogique de la famille de La Trémoille, Paris, Siméon Puget, 1668.
[44] Vilandrando connut du coup quelques déboires : en septembre 1432 il fut attaqué par Jean de Bueil (qui venait de passer dans le clan angevin, allié de Clermont) : ce fut la "détrousse des Ponts-de-Cé" ; Rodrigue s'en vengea en ravageant l'Anjou.
[45] Guillaume de Lara, vicomte de Narbonne, avait des liens familiaux avec les Armagnac. Pour l'enchaînement des évènements sur le pont de Montereau, cf. Bernard GUENEE, Un meurtre, une société, Paris, 1992.
[46] Le comte de Clermont, fils aîné des ducs de Bourbon, qui sont possessionnés au nord de l'Auvergne, ne porte pas ce titre en tant que maître de la ville auvergnate, mais en tant que comte de la ville de Clermont-en-Beauvaisis. La géographie de l'Auvergne est un peu complexe à ce moment là : le duché d'Auvergne appartenait initialement au roi et était administré par un sénéchal résidant à Riom, mais fut attribué au duc de Bourbon en 1425. Il existait également un bailliage des montagnes d'Auvergne, basé à Saint-Flour. Le comté d'Auvergne appartenait en propre au comte-dauphin Béraud, comte de Clermont (en Auvergne cette fois), et également comte de Sancerre. Une moitié de la ville de Clermont et ses environs appartenait à l'évêque de Clermont. Les Giac, seigneurs de Josserand et de Châtaugay, sont originaires du nord de l'Auvergne : l'arrière-grand-père de Giac est enterré à Riom et Pierre de Giac, appartenant à la quatrième génération de cette famille, n'était pas un aventurier d'origine inconnue ; son grand père, mort en 1407, avait été premier chambellan de Charles V et chancelier du duc de Berry.
[47] Marie de Berry, fille du duc Jean, semble avoir tenu la dragée haute à son fils. Mais elle mourut en 1416.
[48] Le président de Provence, comme on l'appelait, n'était pas originaire du Languedoc, mais ses relations avec la Provence, au sud-est, pouvaient être précieuses.
[49] Gallia Regia, t. III, p. 482.
[50] Il avait été libéré quelque mois plus tôt, ayant été capturé à Paris à Paris en 1418.
[51] Le père de Raoul de Gaucourt, qui porte le même nom que son fils, était bailli de Rouen en 1417 : il fut tué par les Bourguignons au cours d’une tentative de livrer la ville au duc de Bourgogne.
[52] Près de Mâcon, il s’agissait d’un château royal dont le capitaine était, en 1418, Pierre de Saint-Amour. La Roche-Solutré, qui était le château le plus puissant du bailliage de Mâcon, pouvait servir de base pour des coups de main sur tout le Mâconnais. En 1432, le château fut repris par les Français qui firent régner la terreur sur la région.
[53] Pendant les Quatre-Temps, outre les jeûnes du vendredi et du samedi, plus rigoureux que les semaines ordinaires, on jeûnait également le mercredi. Mais Jeanne n'ayant pas précisé la date de ses apparitions, sinon par le fait que c'était un jour de jeûne, il peut aussi s'agir de n'importe quel autre jour de jeûne cet été là.
[54] il y aurait eu des trêves dès 1423 entre Charles VII et le Nivernais, cf. André BOSSUAT, Perrinet Gressart et François de Surienne, agents de l'Angleterre, Paris, 1936, p. 51.
[55] Descendant des captals de Buch, vassaux des Anglais en Guyenne, son ralliement ne pouvait être que coûteux et incertain. Son fils Gaston, remarqué par le roi en 1442, allait être totalement du côté du roi : "frère d'armes" de Pierre de Brézé, il allait recueillir le dernier souffle de Charles VII en 1461. Ses descendants se retrouvent désignés sous le titre de comte de Candale.
[56] Le mariage ne se fit pas, finalement, et les négociations furent rompues au début de l’année 1430.
[57] Marguerite de Bourgogne avait épousé Arthur de Richemont en octobre 1423, et la nouvelle comtesse de Richemont (qui reste par la suite désignée par son titre plus honorable de duchesse de Guyenne) avait, par son frère, une dot (les revenus de Tonnerre, Montbard, etc.). Ce qui lui est donné ici est le douaire dû en raison de son mariage avec le défunt dauphin Louis de Guyenne)
[58] Du FRESNE, Op. cit., t. II, p. 82-84 ; archives de la Côte d'Or, B11897.
[59] Ibid., p. 367.
[60] Ibid., p. 86-87
[61] Les conseillers visés sont le président Louvet, Robert le Maçon, Pierre de Giac, le maréchal de la Fayette, le grand maître des arbalétriers Torsay, l'amiral de Culan, le grand écuyer Pierre Frotier, le grand maître de l'hôtel Tanguy du Chastel, le bailli de Touraine Guillaume d'Avaugour.
[62] Du FRESNE, Op. cit., t. II, p. 69.
[63] Ibid.
[64] Etienne FOURNIAL, Histoire monétaire de l'Occident médiéval, Paris, 1970, p. 132.
[65] Il pouvait se montrer optimiste : l'année 1423 avait été bénéfique, avec la victoire de la Gravelle, la naissance de son fils et l'arrivée d'un renfort écossais.
[66] Du Fresne, Op. cit., t. II, p. 64
[67] La liste des partisans de Richemont est donnée par la chronique de Gruel, on y trouve autant de Berrichons (Chauvigny, Lignières, Prie, dont certains seront par la suite recrutés par Giac (Lignières) ou resteront au roi (Prie et Chauvigny) que de Bretons (Beaumanoir, Rostrenen, Châteauneuf, Montauban, Porhoët, Etampes (frère de Richemont)), de Poitevins (Pierre d'Amboise, Bressuire la Grève, Argenton), d'Auvergne (La Tour, Montlaux), et Rouergue (Brangon Herpagon).
[68] Une lettre du duc de Bretagne aux habitants de Tours allait dans le même sens, bien que la date qui lui soit attribuée (13 juin 1425, soit le lendemain du départ de Louvet) soit a priori un peu curieuse ; mais le duc de Bretagne n'avait évidemment pas encore été prévenu du succès de ses efforts. La lettre ne parvint d'ailleurs à Tours que le 20 juin (E. COSNEAU, le connétable de Richemont, Paris, 1886, pièce XXIII, p. 506
[69] Il avait été destitué dès le 28 mars de sa charge de chancelier, confiée à Regnault de Chartres ; mais elle lui fut rendue le 8 août.
[70] M. GAUTHIER, "Lettres inédites du connétable Arthur de Richemont et autres grands personnages aux conseillers et habitants de la ville de Lyon", Revue du Lyonnais, t. XIX, 1859, p. 328.
[71] Ce dernier passa ensuite au service du roi et on le retrouve à Orléans en 1429.
[72] Le 28 juin la reine de Sicile écrivait aux habitants de Lyon une lettre où elle annonçait avoir fait chasser Louvet "par son pourchaz et celui de beau cousin le connestable" (Du FRESNE, Op. cit., t. II, p. 99.
[73] Paris, Arch. Nat. X1a 8607 fol 76 v°, qui est édité intégralement dans COSNEAU, Op. cit, pièce XXIV, p. 507-509.
[74] Il s'agissait d'obtenir de Louis de Poitiers, seigneur de Saint-Vallier, sa renonciation au comté de Valentinois, qu'il revendiquait. Le règlement définitif n'intervint qu'en 1434, mais un premier accord fut obtenu en 1426. A partir de ce moment, le seigneur de Saint-Vallier fait figure de fidèle de Charles VII : c'est lui, notamment, qui s'empare de la bastille Saint-Honoré au moment du siège de Paris en septembre 1429.
[75] Retraite incomplète, toutefois : il était capitaine de Pierre-Pertuise et le resta jusqu'en juillet 1426. En 1425 il fut nommé châtelain de la Tour du pont de Villeneuve d'Avignon et en 1427 châtelain de Saint-André près de la même ville. En 1437, il accompagna Charles VII au siège de Montereau et à Paris.
[76] Pierre Frotier, qui est réputé pour ses rapines, devrait l’être par son extraordinaire discrétion : aucun auteur ne donne d’indication sur ses origines et certains auteurs récents en ont fait le fils d’un palefrenier ; originaire du Poitou, il était fils de Jean Frotier, seigneur de Melzeart et Miséré. C’était avant tout le chef de la garde royale. Il abandonna son poste sans faire de difficulté et revint un peu plus tard au service de Charles VII : lors de la grande entrée de Rouen, en 1449, il commandait 600 archers qui précédaient la garde royale. Devenu seigneur de Preuilly, en Touraine, par mariage, mais apparemment aussi en faisant un mauvais procès à son beau-frère qui avait été son subordonné, il obtint des droits de haute justice en 1452 et son fils Prégent fut baron de Preuilly.
[77] Tanguy II du Chastel, grand-maître de l'Hôtel du roi de 1423 jusqu'au mois de juillet 1425. Prévôt de Paris et châtelain et viguier de Beaucaire depuis 1416, châtelain d'Aigues-Mortes à partir de 1420, et de Galargues en 1423, il cumula ces trois fonctions au moins jusqu'en 1450. Il garda le titre de prévôt de Paris jusqu'à sa mort en 1456, bien qu'il n'en ait plus rempli les fonctions. En 1440 il fut rappelé à la cour pour participer au siège de Pontoise et servit de lieutenant du comte du Maine, et de général conseiller sur le fait des finances. Son neveu Tanguy III servit à son tour Charles VII, fut chassé par Louis XI, avant de rentrer en grâce.
[78] Guillaume d'Avaugour, seigneur de la Roche-Mabille, bailli de Touraine à partir de 1417, avait assisté Tanguy du Chastel lors du sauvetage de Charles VII en 1418. Capitaine de 200 hommes d'armes, puis de 300 en 1418, il se retira en Avignon après avoir abandonné ses fonctions en juillet 1425. En 1440 il fut réintégré comme bailli de Touraine et demeura en place jusqu'à sa mort en 1446. Il ne faut pas le confondre avec Charles de Blois, seigneur d'Avaugour, troisième frère du comte de Penthièvre
[79] Jean Cadart fut fait capitaine de la ville d'Oripecte (?), en Provence, ce qui semble montrer que sa disgrâce auprès des Angevins ne fut pas totale. En 1448, il touchait encore la pension de 600 livres que Charles VII lui avait accordée en 1422 : c'était l'équivalent des gages de Regnault Thierry, qui avait succédé à Cadart en tant que médecin du roi.
[80] Du FRESNE, Op. cit., t. II, p. 77
[81] Ces deux capitaines passèrent ensuite au parti du roi : John Stuart se fit tuer à la bataille des harengs, et Jean Girard participa à la rescousse de Montargis, que Richemont semble avoir tenté d'empêcher. Capitaine de Janville, il dut rendre la ville à Salisbury ; il se réfugia à Orléans et participa à sa défense. Il existe un autre Jean Girard qui est contemporain du premier mais qui est le secrétaire du confesseur du roi.
[82] A la suite de cet accord, les Penthièvre s'allièrent avec les Anglais.
[83] Du FRESNE, Op. cit., t. II, p. 114
[84] Le sire de Lestrac selon le héraut Berry, c'est à dire Jean comte d'Astarac. Le sire d'Orval, pour sa part, était le frère du sire d'Albret.
[85] Marguerite de Guyenne avait déjà écrit à son frère en juillet pour lui annoncer que les auteurs de l'assassinat de son père avaient quitté la cour du roi et qu'il devait se réconcilier avec celui-ci : "ne doit faire doubte que ils ne entendent eulx deux au bien et secours de la maison dont ils sont yssus" (Du FRESNE, Op. cit., t. II, p. 366, n. 4).
[86] Guillaume de Champeaux, que la Geste des Nobles compte comme l'un des trois hommes responsables de tous les maux, avec Du Chastel et Louvet (cf. VALLET de VIRIVILLE, Chronique de la Pucelle, Paris, 1859, p. 190).
[87] Cette alliance fut sans doute de courte durée : en janvier 1428 Richemont signait un traité d'alliance avec Pardiac et Clermont contre Jean de Blois (COSNEAU, pièce XLIII, p. 525-526 et pièce LII, p. 533). Pardiac était également le gendre du roi Jacques.
[88] Enumération des capitaines : du FRESNE, Op. cit., t. II, p. 121
[89] Disposant apparemment d'une nette supériorité numérique mais incapable d’assurer la coordination entre Bretons et Français, le connétable avait commandé un assaut sur deux murs séparés par un boulevard en terre. Contre toute attente, les Anglais firent une sortie, acculèrent les Bretons à un étang et en tuèrent 400. Bien que tous les assiégés aient été blessés et soient hors d'état de continuer le combat, la panique se mit dans l'armée au cours de la nuit suivante et les assiégeants s'enfuirent sans raison. Le connétable se fit piétiner par ses propres troupes et dut se retirer à son tour.
[90] Archives de la Côte d'Or, BB 11897.
[91] Il avait été nommé en 1427 grand panetier à la place du seigneur de Prie, qui venait d'être tué lors de la tentative faite par Clermont contre Bourges. Sa nomination à ce poste et à cette date montre qu'il s'agissait d'un homme de confiance de Charles VII. Il se fit tuer à la bataille des harengs. Un autre frère Naillac était mort en 1422 dans l'effondrement de plancher du château de la Rochelle, en même temps que le seigneur de Préaux.
[92] Il s'agit vraisemblablement de Hugues d'Arpajo, comte de Lautrec, frère aîné de Béranger d'Arpajo que l'on retrouve ensuite dans l'armée royale, notamment à Orléans en 1429 et à Paris en 1436.
[93] Du Fresne, Op. cit., t. II, p. 126-127 : acte du 16 mars 1426, conservé aux Archives Nationales, X2a 21.
[94] Le mariage avait été décidé depuis le 18 août 1418.
[95] Il fit partie des Bretons restés par la suite au service du roi (on le retrouve à Orléans), c'est apparemment un lieutenant de Boussac, avec lequel il participe à la levée du siège de Compiègne
[96] Malgré son nom, ce Montauban est un breton. La famille de Montauban est également illustrée par Guillaume, chancelier d’Isabeau de Bavière. Ce Guillaume avait épousé en 1414 Bonne Visconti, cousine de Valentine, mais petite-fille de Barnabo qui avait été renversé par son neveu Galéas. Ce sont donc des cousines ennemies et selon toute apparence, les Montauban était intéressés au renversement des alliances perpétrées par Louis d’Orléans.
[97] On conserve une lettre de Richemont à sa "cousine", la dame de Saligny, tante de Chalençon. Le mot cousine peut évidemment être là un terme d'affection ou de politesse : dans une lettre suivante, Richemont appelle La Trémoille son "beau cousin" (cf COSNEAU, le connétable de Richemont, pièce XLIV, p. 526). Louis-Armand de Chalençon était le fils Marguerite de Saligny et de Pierre-Armand, vicomte de Polignac, qui avait été chargé en 1419 de défendre le Velay, le Valentinois et le Vivarais. Pierre de Chaleçon, adopté par son oncle Armand IX de Polignac, avait pris le nom de Pierre-Armand en 1421 à la mort de son second oncle Armand X. Louis-Armand avait été armé chevalier de la main même de Charles VII en mars 1420. Mais il avait épousé en 1419 Isabeau, fille de Bertrand de la Tour, partisan de Richemont, et semble avoir suivi son beau-père dans ses choix politiques. Il succéda à son père comme vicomte de Polignac mais ne semble pas s'être fait remarquer après 1428. Chalençon se trouve dans le Forez et Polignac en Saintonges.
[98] Bien des confusions chez les auteurs contemporains semblent dues au fait qu’il y avait plusieurs chambellans à la cour : le Grand chambellan, à l’origine subordonné au Grand Chambrier, avait lui-même sous ses ordres quatre chambellans ordinaires, prenant normalement leur fonction par quartier. Le Grand Chambellan est alors le Bâtard d’Orléans, en exil en Provence : en son absence, le premier chambellan exerce ses fonctions, qui sont entre autre la garde du sceau secret et souvent celui de conseiller personnel du roi. A son retour en cour en 1427, le Bâtard d'Orléans céda son office à Georges de La Trémoille, qui devient désormais le supérieur de Chalençon : celui-ci quitta alors la cour, mais à une date inconnue. Toutefois, en juin, il concluait un traité d'alliance avec le comte de Clermont et son oncle Guillaume, évêque du Puy-en-Velay, dirigé contre le roi.
[99] La reddition de Pontorson fut précédée de la bataille la Gueintre, le 17 avril 1427, durant laquelle Scales, assailli par les Bretons à trois contre un, se dégagea en tuant 800 adversaires. Parmi eux se trouvait Alain de Château-Giron. Sa parenté avec le capitaine breton Alain Giron n'est pas certaine, mais on remarque que Giron, qui était précédemment un partisan de Richemont et qui avait participé à la capture de Giac, passe ensuite du côté du roi. Il est en tout cas intéressant de constater qu'il ne participa pas à l'assassinat de Jean du Vernet.
[100] Achille Le VAVASSEUR (éd.), Chronique d'Arthur de Richemont, Paris, 1890, p. 54.
[101] Ibid, p. 228.
[102] Ayant quitté la cour après la mort de Giac, La Trémoille la regagna le 25 mai 1427 ; il ne participe aucunement à l'assassinat du Camus de Beaulieu, au mois de juin suivant : La Trémoille avait un intérêt personnel à la mort de Giac, dont il épousa la veuve un mois plus tard, à la stupéfaction outrée de bien des chroniqueurs, mais il n'est pas certain que cela suffise à en faire ipso facto un partisan fidèle de Richemont, ce que la suite confirmera.
[103] Charles Ier d'Albret (ou de Labrit : les textes du temps disent Lebret), comte de Dreux, était connétable de France depuis 1402, il avait épousé en 1400 la veuve de Guy V de La Trémoille, mère de Georges.
[104] S’il y a un fondement à la réputation de dévergondage d’Isabeau de Bavière, peut-être faudrait-il le chercher dans la mort de Louis de Bosredon, exécuté soit-disant pour avoir oublié de saluer le roi, mais l’affaire peut aussi ressembler à une crise de jalousie. De toute manière, tout s’est déroulé 14 ans trop tard pour qu’on puisse suggérer que Bosredon soit le père de Charles VII et la jalousie du roi ne signifie pas pour autant la faute de la reine : le roi a perdu tout contact avec la réalité depuis deux ans quand se déroule cette affaire. Enfin, la raison de l'exécution tient peut-être plus aux rapports entre le roi et les Orléans qu'entre Bosredon et la reine : Louis de Bosredon avait été au service de Charles d'Orléans entre 1408 et 1411, et en 1417 il venait d'accéder à la dignité de chambellan du duc ; il peut s'agir avant tout d'un coup bas fomenté par un aversaire du duc d'Orléans.
[105] Fils de Guillaume III de Chaumont qui avait été tué à Verneuil.
[106] Fauconnier du roi, panetier de France, Jean V Malet de Graville fut l'un des derniers défenseurs de la Normandie. Il fut nommé Grand Maître des arbalétriers en 1425.
[107] Malheureusement pour lui, son indéniable courage moral n'était pas doublé d'un égal courage physique et il fit pauvre figure dans les combats auxquels il fut mêlé aux côtés de Jeanne d'Arc. Peu doué également en talents militaires, il échoua complètement dans la tentative faite au lendemain du sacre, et encore en 1435, pour reconquérir la Normandie. Dès lors, mis à l'écart, il finit par trahir Charles VII avec les Anglais et fut arrêté au lendemain de sa déposition au procès de réhabilitation de Jeanne.
[108] Je ne sais s'il s'agit de Jean II (mort en 1437) ou de Jean III : le second fut le beau-frère du roi, ayant épousé la fille d'Odette de Champdiviers.
[109] La ville de Laval appartenait à Guy XIV de Laval, membre de la famille de Montfort - donc apparenté à Richemont - qui allait d'ailleurs devenir en 1435 son neveu par alliance. On voit aussi l'intérêt de Guillaume d'Albret, seigneur d'Orval : Catherine de L'Isle-Bouchart, femme de son demi-frère La Trémoille, était la cousine de Guy XIV. L'expédition ne fut peut-être qu'envisagée par Richemont : d'Orval ayant été chassé du Mans avec de lourdes pertes, Laval ne fut pas secourue, et le frère de Guy XIV, André de Lohéac, futur amiral et futur maréchal de France, fut capturé lors de la prise de la ville, et lourdement rançonné.
[110] Il s'agit peut-être de Jean de Rochechouard seigneur de Saint-Maixent, Barbezieux, etc., les deux noms se succèdent dans la liste des sénéchaux de Poitou en 1431, selon la Gallia Regia (t. IV, p. 477). Il sera à Jargeau et Patay.
[111] Philippe CONTAMINE "L'action et la personne de Jeanne d'Arc…", Op. cit., p. 74, d'après la Gallia Regia, n° 7837 et 7838
[112] Paul GUILLON, Recueil des arrêts concernant les péages de la Loire aux détroits d'Orléans, Blois, Tours, Chinon, Saumur, Angers, Pont de Cée, Nantes, Paris, Hotot, 1678.
[113] Ibid., p. 71, d'après Siméon LUCE, Op. cit., pièce CCX, p. 239-241
[114] Le massacre de la garnison d'Azay le Rideau en novembre 1418, sur ordre de Charles VII, semble avoir terrorisé la région.
[115] L. Carolus-Barré, "Deux capitaines italiens compagnons de guerre de Jeanne d'Arc", Actes du colloque Jeanne D'Arc, Compiègne, 1982, p. 81-118.
[116] Philippe CONTAMINE, "L'action et la personne de Jeanne d'Arc…", Op. cit., p. 72-73
[117] Henri MORANVILLE (éd.), Chroniques de Perceval de Cagny, Paris, 1902, p. 116.
[118] Le 10 septembre 1431, son neveu, le comte de Montfort, épousait la fille de Yolande d'Aragon. Le 21 juillet, son autre neveu épousait Françoise d'Amboise, fille du vicomte de Thouars qui venait d'être condamné pour complot contre le roi. Le 4 mai, Charles de Mortain s'était allié avec le duc de Bretagne.
[119] En janvier 1432, il mit le siège à Pouancé pour tenter de reprendre Jean de Malestroit, qui avait été enlevé par le duc d'Alençon : ses troupes furent renforcées par un contingent anglais commandé par Scales et Willoughby (A. Le VAVASSEUR éd., Chronique d'Arthur de Richemont, Paris, 1890, p. 79).
[120] Encore en 1431-1432, semble-t-il, il est désigné comme bénéficiaire d'un partage des terres du royaume entre le duc de Bourgogne et le duc de Bretagne : Il devait recevoir la Saintonge, la Touraine, l'Aunis, La Rochelle et les terres que possédait La Trémoille en Poitou (Cf COSNEAU, Op. cit., pièce LVI, p. 539-541). Il s'agit apparemment d'un projet élaboré par un conseiller du duc de Bourgogne qui ne semble avoir reçu qu'un commencement d'exécution : le Poitou fut attribué par le roi d'Angleterre, le 7 janvier 1432, au duc de Bretagne. Mais les territoires ainsi partagés étaient solidement tenus par Charles VII et les choses n'allèrent pas plus loin.
[121] Qui assiste au mariage entre François de Bretagne et Yolande d'Anjou.
[122] COSNEAU, Le connétable de Richemont, Op. cit., pièce LVII, p. 541-545 : Richemont récupérait Châtelaillon et La Trémoille Gencay.
[123] Lieutenant de Quitry pour le château de Chinon, il était aussi écuyer d'écurie du roi.
[124] Jean de Rosnyvinen était capitaine de Dinan. Il fut ensuite premier échanson du roi en 1442-1443, puis le lieutenant de Guillaume de Rosnyvinen (probablement son frère) qui sera capitaine de l'ordonnance en 1445 (Philippe CONTAMINE, Guerre, Etat et société à la fin du Moyen Age, Paris, 1972, passim).
[125] Le départ de La Trémoille s'était aussi traduit par le retour de Gilbert Motier de la Fayette, qui avait été privé de son office de maréchal au lendemain de la bataille de Rouvray, maréchalat qui avait été offert à Gilles de Rais. La Fayette devait souhaiter retrouver son office, et ce ne sont pas les qualités militaires de Gilles de Rais qui devaient plaider en sa faveur. Finalement, la mort du maréchal de Brosse permit à La Fayette de redevenir maréchal et à Gilles de Rais de le rester.
[126] Charles du Maine s'y fit armer chevalier par Richemont, puis arma chevalier tous les conjurés qui avaient participé à l'éviction de La Trémoille.
[127] H. MORANVILLE, Chroniques de Perceval de Cagny, op. cit., p. 256-257.
[128] Du FRESNE, Op. cit., t. II, p. 366, n. 2. et p. 376 : ce projet, de compréhension d'ailleurs difficile, figure dans les instructions des envoyés qui rencontrèrent le duc de Bretagne en mai 1426. Il est également plausible que Richemont ait pensé à s'assurer de la personne même de Charles VII.
[129] Il faudra d'ailleurs un jour reconsidérer la question du soi-disant éloignement de l'Eglise et de la population au temps de Jeanne d'Arc : loin d'être, au lendemain du schisme, une période d'une religiosité apaisée et sereine, le siècle qui suit la mort de Jeanne voit le développement des procès de sorcellerie et s'achève sur les prémisses des guerres de religion.

 [D1] En réalité, Gouge, en tant que représentant de la noblesse d'Auvergne, n'était pas favorable à l'adjudication de l'Auvergne au duc de Bourbon, préparée dès 1400, et il s'était opposé à la transmission du duché en 1416, à la mort du duc de Berry. Bien que dans le même camp, celui de Richemont, Gouge et Charles de Bourbon sont des adversaires personnels

 [BO2]En fait les Giron sont des Berrichons et n'ont aucun rapport avec les Château-Giron qui sont Bretons


D'autres références